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veuille se moquer; son livre est dédié à l’un des souverains les plus aimés de l’Allemagne, au duc de Saxe-Cobourg-Gotha, Ernest II, et il est écrit, l’auteur le déclare expressément, pour protéger le principe monarchique contre la révolution égarée. « On a détrôné, chassé, assassiné, exécuté bien des rois sur terre, s’écrie M. Hinrichs; malgré toutes ces catastrophes, la royauté est toujours demeurée debout, parce qu’elle n’est pas une institution arbitraire, mais une partie intégrante de l’état. Dans la vie historique de l’humanité, peuples et rois grandissent ensemble. La royauté a-t-elle été de tout temps ce qu’elle est aujourd’hui? Non certes, pas plus que les peuples du vieil Orient ne peuvent se comparer à notre civilisation libérale. » C’est pour étudier ces transformations que M. Hinrichs va des empereurs de la Chine, des rajas de l’Inde supérieure, des rois de Perse, des pharaons d’Egypte, jusqu’aux rois constitutionnels du XIXe siècle. Quand il est en Orient, il néglige les noms propres; mais avec la société occidentale, les individus apparaissent, et chacun des hommes en qui se personnifie une des modifications de la royauté est interrogé avec la pénétration d’un historien philosophe. Ici, c’est Solon, Philippe, Alexandre, Servius Tullius et Tarquin le Superbe, César et Auguste; là ce sont les chefs des hordes germaines, c’est Mérovée, c’est Charlemagne, ce sont les empereurs saxons et franconiens, les Hohenstaufen, les Habsbourg; plus loin enfin, voici Louis XIV, Frédéric II, Louis XVI, le tsar de Russie, l’empereur Napoléon, tous les rois de l’Europe actuelle et Napoléon III. Au milieu de jugemens fort contestables, il y a dans cette classification une sérieuse et spirituelle originalité. J’ai voulu y signaler surtout cet emploi des formes historiques auquel les philosophes allemands ne nous avaient pas accoutumés. Puisque les formules, même chez les hégéliens, font place à l’étude de la réalité, il est évident que l’histoire est de plus en plus la préoccupation de l’esprit public.

Dans ce mouvement d’études, on comprend que les biographies d’hommes illustres occupent un rang considérable. Rien de plus salutaire contre les séductions du panthéisme, rien de plus efficace pour réveiller le sentiment de l’action que l’étude des destinées individuelles. Lorsque M. Varnhagen d’Ense, il y a trente ans, publia ses Monumens biographiques, ce fut une apparition inattendue, et Goethe annonça que l’auteur, en inspirant le goût de ces enquêtes précises, exercerait une heureuse influence sur l’Allemagne. M. Varnhagen, en effet, devint bientôt un modèle; malheureusement on ne s’efforçait guère d’imiter la précision de ses portraits : ce genre nouveau n’était qu’un domaine de plus où l’érudition accumulait ses inutiles trésors. Aujourd’hui tout est changé : l’Allemagne s’est enrichie de biographies qui sont des œuvres d’art. Je citerai, entre autres modèles, la biographie d’un libraire qui a été l’ami de