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lorsqu’il marchait contre l’armée persane, commandée par Darius en personne, il tomba malade à Tarse pour s’être baigné dans le Cydnus, et son armée demeura immobile pendant plusieurs jours. Pendant ce temps-là, Darius l’attendait dans les plaines de Syrie avec une armée immense et une cavalerie formidable, sur le terrain le plus favorable à cette arme. Dès qu’Alexandre fut rétabli, il passa les défilés du mont Amanus, qui n’étaient point gardés, et se porta contre l’armée persane ; mais précisément au moment où il traversait l’Amanus par une des gorges près de la mer, Darius, ennuyé de l’attendre, passait les montagnes sur un autre point pour le joindre, et allait se jeter étourdiment dans le coupe-gorge d’Issus, sur les derrières de l’armée macédonienne, dans une position où le nombre de ses troupes et surtout sa cavalerie lui devenaient inutiles. La bataille d’Issus fut en grand ce qu’avaient été les premiers combats de Léonidas à l’entrée des Thermopyles. Darius avait beau avoir six cent mille hommes (chiffre d’ailleurs fort douteux), il n’en pouvait mettre en ligne qu’un fort petit nombre, égal au front de bandière des Macédoniens. D’un côté, de pauvres diables mal armés, nullement exercés, peu soucieux du maître que leur donnerait la victoire ; de l’autre, de vieux soldats couverts de fer depuis les pieds jusqu’à la tête, excellens manœuvriers, pleins de confiance dans leur chef et persuadés que s’ils ne battaient pas la racaille qu’ils avaient en face, ils auraient les mains et les pieds coupés comme leurs camarades que les Persans avaient trouvés la veille dans l’hôpital d’Issus : le succès de la journée ne pouvait être douteux. En réalité, il s’agissait de savoir combien un Macédonien pouvait abattre de Persans sans trop se fatiguer, et combien de Persans il faudrait tuer pour déterminer la masse du troupeau à prendre la fuite.

M. Grote a jugé Alexandre avec sévérité, mais, je le crois, sans passion. À ses yeux, il fut seulement un grand destructeur, comme Attila, Gengis-Khan et Tamerlan, et si nous le mettons au-dessus de ces terribles fléaux de l’humanité, c’est peut-être parce que notre éducation occidentale nous a laissé une admiration traditionnelle pour les vertus chevaleresques. Dans Alexandre, nous voyons le type accompli de ces preux du moyen âge, à qui nous passons tout en faveur de leurs beaux coups de sabre. Personne n’en sut mieux donner, il est vrai, et M. Grote remarque fort bien que la bravoure téméraire d’Alexandre, qui l’entraînait aux premiers rangs, qui le poussait à payer de sa personne et à frapper lui-même l’ennemi, était le seul défaut qui obscurcît un peu son mérite comme capitaine. S’il était ardent dans la mêlée, il n’en était pas moins un grand tacticien, un organisateur excellent qui sut toujours faire vivre son armée par la guerre. Mais quel fut son but, sa politique ? qu’a-t-il fait pour son