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par y adhérer, et que, la traite devenant alors à peu près impossible, ils auraient l’honneur d’atteindre le grand but que l’Angleterre poursuivait avec tant d’ardeur. Non-seulement par notre refus de ratifier le traité ils perdaient cette espérance, mais l’idée leur vint que nous ne refusions cette ratification que de concert avec les États-Unis, et en nous unissant secrètement à eux pour faire échouer, dans l’ancien et dans le nouveau monde, les desseins de l’Angleterre. C’était surtout dans l’esprit naturellement inquiet et méfiant de sir Robert Peel que fermentaient ces soupçons ; les honnêtes gens, qui ne sont ni chimériques, ni dupes, tombent aisément dans des méfiances extrêmes, et les siennes apparaissaient quelquefois singulièrement au milieu du bon vouloir et du sincère désir d’entente cordiale qui ranimaient. Il fallut du temps et les épreuves que le temps amène dans les relations des hommes pour le convaincre que nous aussi nous étions sincères, qu’il pouvait avoir confiance en nous, même quand nos actes le contrariaient, et que, dans l’affaire du droit de visite entre autres, nous ne faisions que céder à une nécessité qu’il connaissait aussi bien que nous, la nécessité du respect pour les sentimens de nos chambres et de notre pays. Sir Robert avait d’ailleurs l’esprit trop juste et trop ferme pour ne pas mettre sa politique générale au-dessus de telle ou telle question particulière ; il voulait, entre l’Angleterre et la France, et pour toute l’Europe, la paix, la vraie paix, la politique tranquille et conservatrice : quand il se tint pour bien assuré que c’était là aussi, sans arrière-pensée, notre politique, et que nous avions, pour la maintenir dans notre pays, encore plus d’efforts à faire que lui dans le sien, il se résigna aux sacrifices qu’elle lui imposait envers nous, et après avoir accepté en 1842 notre refus de ratifier le traité du 20 décembre 1841 sur le droit de visite, il en vint à accepter, en 1845, l’abolition du droit de visite même et des conventions de 1831 et 1833, qui le consacraient.

Ce fut surtout à lord Aberdeen que cette politique éclairée, conciliante et vraiment indépendante des préventions de parti comme des humeurs populaires, dut son succès au sein du cabinet même comme dans les négociations. Les ennuis ne lui étaient pas épargnés : pendant qu’on m’accusait à Paris de condescendance servile envers l’Angleterre, on lui adressait à Londres le même reproche ; il était le complaisant ou la dupe du roi Louis-Philippe et de M. Guizot. Attristé quelquefois de ces absurdes imputations, il ne leur cédait jamais rien au fond, ne se décourageant jamais de la bonne politique, très réservé seulement dans le langage, et d’une patience infinie à préparer et à attendre les résultats, j’ai à cœur de donner une juste idée de la loyale intimité qui régnait entre nous, et de la façon dont