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honneur, qu’il croyait la morale et le bon sens essentiels et praticables dans les relations extérieures comme dans le gouvernement intérieur des nations : lieu commun en apparence, que répètent des lèvres tous les politiques, mais auquel, en réalité, bien peu d’entre eux portent vraiment foi.

Par une bonne fortune rare, ou plutôt par une sympathie naturelle, sir Robert Peel avait placé, dans son cabinet, les affaires étrangères aux mains d’un homme animé des mêmes sentimens et plus propre que personne à les pratiquer. J’ai traité pendant cinq ans avec lord Aberdeen des rapports de nos deux patries, et de toutes les questions qui en sont nées durant cet intervalle, grande mortalis œvi spatium ; je ne vois pas pourquoi je me refuserais le plaisir de dire, de sa politique et de lui-même, ce que j’en pense, ce que j’en ai vu et éprouvé moi-même. Je ne fais nul cas des réticences et des modesties affectées ; retiré aujourd’hui bien loin du monde, je ne sens aucun embarras à dire tout haut ce que j’ai pensé, senti ou voulu quand j’étais mêlé à son mouvement, et j’accepte volontiers, dût-il en revenir à mes amis ou à moi quelque honneur, les occasions de mettre en lumière la politique que, de concert avec eux, j’ai essayé de faire triompher.

Lord Aberdeen avait, pour sir Robert Peel, deux inappréciables avantages : il appartenait au parti tory, à la plus brillante époque des tories, à leurs jours de victoire, et il ne partageait nullement leurs préventions, leurs passions, leurs traditions d’entêtement ou de haine ; esprit aussi libre que mesuré, aussi juste que fin, toujours prêt à comprendre et à admettre les changemens des temps, les motifs et les mérites des hommes ; aristocrate avec des formes simples, des sentimens libéraux et un caractère sympathique ; lettré sans prétentions littéraires ; très réservé dans la vie commune et plein de charme dans l’intimité, très anglais de principes et de mœurs, et pourtant très familier avec l’histoire, les idées, les langues, les intérêts des peuples du continent. Comme Peel, il voulait la paix et la justice dans les relations des états ; mieux que personne, il savait en discerner et en accepter les conditions, n’employer que les procédés et le langage propres à assurer leur empire, et en inspirant, aux hommes avec qui il traitait, foi dans sa modération et son équité, il les disposait à porter de leur côté, dans les affaires, les mêmes sentimens.

Entre ces deux hommes, la confiance devait être et fut entière : le grand seigneur écossais acceptait franchement et simplement la suprématie du fils du filateur anglais ; le chef parlementaire ne prétendait point diriger les affaires étrangères et imposer à son collègue ses vues, ses goûts, ses façons d’agir diplomatiques. D’accord sur