Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/363

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est manifeste, et c’est ce repos, cette sécurité intime, fruit de sérieux avantages obtenus, qui, mêlé à une activité féconde en générale pour toutes les entreprises industrielles, donne en ce moment à l’Autriche une physionomie très caractérisée, très particulières et, on ne saurait le contester, très sympathique.

À ce tableau qui paraîtra peut-être flatté, on opposera, je le crains, l’état de la Hongrie. Je ne puis nier que sur ce théâtre d’une lutte sanglante et récente encore, il n’existe des germes de mécontentement, de haine même, et que l’on n’ait eu quelques raisons de croire à une nouvelle éruption du volcan révolutionnaire à peine éteint Je persiste pourtant à penser que ces craintes ne sont pas entièrement fondées. Il n’y a pas en Hongrie, comme en Italie, de ces antipathies radicales qui s’opposent à toujours à l’union des deux peuples : j’entendais exprimer très naïvement à Pesth le regret que le gouvernement autrichien n’y envoyât pas, au lieu de régimens croates, des régimens allemands, avec lesquels il serait plus aisé de vivre. Un pareil sujet de mécontentement ne me semble pas très difficile à détruire. L’hostilité qui persiste dans le cœur de la plupart des Hongrois me paraît plutôt le souvenir poétique d’une nationalité éteinte par l’action du temps que le sentiment amer d’une race opprimée et vaincue. Quelques nobles hongrois peuvent subventionner largement un théâtre national et se plaire à entendre les Opéras français et italiens, chantés dans leur langue, composée d’autant de voyelles que l’allemand est hérissé de consonnes ; les bourgeois opulens peuvent, le soir, vider leur bourse dans la main des zingaris, qui leur jouent ces czardas patriotiques empreintes d’un parfum si particulier et d’une saveur toute locale. Cela ressemble, avec plus de passion toutefois et partant plus de dangers, à l’opposition que l’esprit provincial a montrée plus d’une fois en France contre notre système de centralisation, et qui s’est manifestée par une recrudescence de poésies provençales et un mouvement littéraire très estimable en soi. Néanmoins, en pénétrant sous cette apparence, en voyant le paysan hongrois, devenu libre et propriétaire par le bienfait du gouvernement autrichien, enrichi par son commerce avec les provinces allemandes, qui lui paient si cher, depuis quelques années, ce blé qu’il produit avec tant d’abondance, on ne saurait sérieusement craindre pour l’avenir de l’annexion de la Hongrie à Autriche et la réunion des deux couronnes d’empereur et de roi sur le front du descendant des Habsbourg.

N’y a-t-il cependant rien qui puisse entraver le libre développement de cette renaissance civile que je me plais à signaler en Autriche ? Si, plus heureuse qu’en France, elle a eu la fortune d’éviter l’écueil de l’hostilité des classes, et n’a pas eu à passer par les horreurs des guerres intestines qui ont ensanglanté le berceau de notre