Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/354

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par Célia les paroles solennelles. Elle agace et tourmente son prétendu mari ; elle lui raconte toutes les fantaisies qu’elle aura, toutes les méchancetés qu’elle fera, toutes les taquineries qu’il endurera. Les répliques partent coup sur coup comme des fusées d’or. À chaque phrase, on suit les regards de ces yeux si vifs, les plis de cette bouche rieuse, les brusques mouvemens de cette taille svelte. C’est la pétulance et la volubilité d’un oiseau. « O cousine, cousine, cousine, ma jolie petite cousine, si tu savais de combien de brasses je suis enfoncée dans l’amour ! » Là-dessus elle agace cette cousine, elle joue avec ses cheveux, elle l’appelle de tous ses noms de femme. Antithèses sur antithèses, mots entrechoqués, pointes, jolies exagérations, cliquetis de paroles, quand on l’écoute, on croit entendre le ramage d’un rossignol. Ces métaphores redoublées comme des trilles, ces roulades sonores de gammes poétiques, ce gazouillement d’été ruisselant sous la feuillée, changent la pièce en un véritable opéra. Les trois amans finissent par entonner une sorte de trio. Le premier jette une pensée, et les autres la répètent. Quatre fois cette strophe recommence, et la symétrie des idées, jointe au tintement des rimes, fait du dialogue un concert d’amour. Le besoin de chanter devient si pressant, qu’un instant après les chansons naissent d’elles-mêmes. La prose et la conversation ont abouti à la poésie lyrique. On entre de plain-pied dans ces odes. On ne s’y trouve pas en pays nouveau. On sent en soi l’émotion et la gaieté folle d’un jour de fête. On voit passer dans une lumière vaporeuse le couple gracieux que la chanson des deux pages promène autour des blés verts, parmi les bourdonnemens des insectes folâtres, au plus beau jour du printemps en fleur. L’invraisemblable devient naturel, et l’on ne s’étonne point quand on voit l’Hymen amener par la main les deux fiancées pour les donner à leurs époux.

Pendant que les jeunes gens chantent, les vieillards causent. Leur vie aussi est un roman, mais triste. L’âme délicate de Shakspeare, froissée par les chocs de la vie sociale, s’est réfugiée dans les contemplations de la vie solitaire. Pour oublier les luttes et les chagrins du monde, il faut s’enfoncer dans une grande forêt silencieuse, « et sous l’ombre des rameaux mélancoliques laisser couler et perdre les heures fuyantes du temps. » On regarde les dessins splendides que le soleil découpe sur le tronc blanc des hêtres, l’ombre des feuilles tremblantes qui vacille sur la mousse épaisse, les longs balancemens des cimes ; la pointe blessante des soucis s’émousse ; on ne souffre plus, on se souvient seulement qu’on a souffert ; on ne trouve plus en soi qu’une misanthropie douce, et l’homme renouvelé en devient meilleur. Le vieux duc se trouve heureux de son exil. La solitude lui a donné le repos, l’a délivré de la flatterie, l’a ramené à