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un cloître et de la rendre au vieux duc exilé. On s’épouse, on danse, et tout finit par une fête pastorale. Quel est l’agrément de cette folie ? C’est d’abord d’être une folie ; le manque de sérieux repose. Point d’événemens ni d’intrigue. On suit doucement le courant aisé d’émotions gracieuses ou mélancoliques qui vous emmène et vous promène sans vous lasser. Le lieu ajoute à l’illusion et au charme. C’est une forêt d’automne, où les rayons attiédis percent les feuilles rougissantes des chênes, où les frênes demi-dépouillés tremblent et sourient au faible souffle du vent du soir. Les amans errent au bord des ruisseaux « qui courent en babillant sous les racines antiques. » On aperçoit en les écoutant de légers bouleaux dont la robe de dentelle s’illumine sous le soleil incliné qui les dore, et la pensée s’égare dans les allées de mousse où s’amortit le bruit des pas. Quel lieu mieux choisi pour la comédie de sentiment et pour la fantaisie du cœur ? N’est-on pas bien ici pour entendre des causeries d’amour ? Quelqu’un a vu dans cette clairière Orlando, l’amant de Rosalinde. Elle l’apprend, et rougit. Que va-t-elle devenir ? Elle est habillée en homme. « Ah ! mauvais jour ! Mais qu’a-t-il fait, quand tu l’as vu ? Qu’a-t-il dit ? Quel air avait-il ? D’où venait-il ? Que fait-il ici ? M’a-t-il demandée ? Où demeure-t-il ? Comment t’a-t-il quittée ? Quand le rèverras-tu ? » Puis d’un ton plus bas, en hésitant un peu : « A-t-il aussi bonne mine que le jour où il a combattu ? » Cela ne tarit pas. « Ne sais-tu pas que je suis femme. Quand je pense, je parle. Chère, chère, va donc. » Questions sur questions, elle ferme la bouche à son amie, qui veut répondre. chaque mot, elle plaisante, mais agitée, en rougissant, avec une gaieté factice ; sa poitrine se soulève et son cœur bat. Elle s’est remise pourtant, quand arrive Orlando ; elle badine avec lui ; abritée par son déguisement, elle lui fait dire qu’il aime Rosalinde. Là-dessus elle le lutine, en folâtre, en espiègle, en coquette qu’elle est, « Non, non, vous n’aimez pas. » Orlando répète, et elle se donne le plaisir de le faire répéter plus d’une fois. Elle pétille d’esprit, de moqueries, de malices ; ce sont de jolies colères, des bouderies feintes, des éclats de rire, un babil étourdissant, de charmans caprices. « Tenez, faites-moi la cour. Je suis en humeur de fête, et je pourrais bien consentir. Que me diriez-vous si j’étais votre Rosalinde ? » Et à chaque instant elle lui répète avec un fin sourire : « N’est-ce pas, je suis votre Rosalinde ? « Orlando proteste qu’il mourra. Mourir ! Et qui jamais s’est avisé de mourir d’amour ? Voyons les modèles : Léandre ? Un jour il prit maladroitement un bain dans l’Hellespont, et là-dessus les poètes ont dit qu’il est mort d’amour. Troïlus ? Un Grec lui cassa la tête de sa massue, et là-dessus les poètes ont dit qu’il est mort d’amour. Allons, venez, Rosalinde va être plus douce. Et aussitôt elle joue au mariage avec lui, et fait prononcer