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qui était posée près de lui ; puis il se leva, recommanda à Osman de lui envoyer un matelas, une couverture, du café, du tabac et des liqueurs. Faisant alors signe aux kavas de le suivre, il se dirigea sans autre cérémonie vers la prison pour dettes.

Quand Osman revint trouver Anifé et lui annonça le départ du prisonnier, il remarqua sur ses lèvres un étrange sourire. — Il faut agir, lui dit-elle ; Maleka triomphe aujourd’hui, mais mon tour va venir. — Le lendemain même de l’arrestation d’Ismaïl, Anifé agissait. Munie de deux pièces importantes, — la déclaration de l’emprunt des bijoux valant quatre-vingt-quinze mille piastres et une copie de son contrat de mariage, stipulant qu’en cas de séparation des époux Ismaïl lui rendrait sa dot de trente mille piastres, — Anifé se rendit chez le kadi de son quartier. Elle lui dit que son mari était actuellement en prison pour dettes à la requête de sa première femme Maleka, qu’elle ne voulait pas aggraver inutilement cette situation critique, qu’elle se contentait pour le moment de déposer ces pièces entre les mains du juge, déclarant qu’elle n’en ferait usage que dans le cas où les arrangemens acceptés par Ismaïl pour satisfaire Maleka seraient contraires à ses propres intérêts. Le kadi se confondit en éloges sur la grandeur d’âme d’Anifé, et lui promit de l’avertir de ce qui se passerait entre les deux conjoints. En quittant le kadi, Anifé se rendit chez le ministre de la justice, dont elle sollicita la protection, qui lui fut très gracieusement promise. Ces démarches faites, la fille de Fatma rentra chez elle pour n’en plus bouger pendant une semaine ou deux.

Maleka se conduisit de même pendant un laps de temps non moins prolongé. Elle voulait laisser à Ismaïl le loisir de se convaincre de l’inutilité de ses efforts et de la perte complète de son crédit. Quand elle jugea cet effet produit, elle lui dépêcha Selim, porteur d’un ultimatum très facile à résumer. Ismaïl avait à choisir entre trois solutions : — répudier Anifé, restituer les cent quinze mille piastres, ou se résigner à la prison perpétuelle. Ismaïl se débattit comme un lion, et protesta n’avoir rien reçu de la somme réclamée par Maleka ; mais, voyant Selim demeurer impassible, il finit par demander trois jours pour se décider, et Selim lui promit de revenir à l’expiration de ce délai.

Quelques momens après le départ de Selim, Osman vint s’informer si Ismaïl n’avait besoin de rien. — J’ai besoin de consolation et de conseil, répondit Ismaïl, que ses malheurs plongeaient dans un attendrissement tout nouveau pour lui. Et il conta à son cousin le message de Maleka, le priant de lui dire ce qu’il ferait à sa place, et de sonder Anifé sur le parti qu’elle prendrait dans le cas où il accepterait les conditions qui lui étaient offertes. Osman répondit en