quels il croyait néanmoins pouvoir compter. Le kiaja allait de nouveau se remettre en campagne, lorsque les kavas, qui avaient reçu des instructions précises, et qui avaient d’ailleurs achevé leur café et leurs pipes, prièrent Ismaïl de réfléchir que ses amis viendraient le trouver en prison aussi bien que chez lui, et qu’il leur était expressément défendu de tarder davantage. Ismaïl leur offrit alors une pièce de monnaie à chacun. Ils l’acceptèrent, l’en remercièrent infiniment, mais ils renouvelèrent leurs instances avec d’autant plus de chaleur, qu’ils n’attendaient plus rien de leur complaisance. Restait Anifé ; il n’y avait pas à hésiter. Ismaïl assura qu’il allait passer dans son harem et rapporter de quoi payer sa dette, tout en faisant ses réserves et en protestant contre la fausseté des titres qu’on lui présentait ; mais une difficulté s’éleva, à laquelle il n’avait pas songé : les kavas avaient reçu l’ordre de ne pas le perdre de vue, et aucun kavas ne pouvait entrer chez Anifé, car, malgré un certain relâchement introduit dans le gouvernement du harem d’Ismaïl, quoique les parens et les amis y pénétrassent sans difficulté, ou plutôt quoiqu’Anifé le quittât souvent pour le salon d’Ismaïl, et que son voile lui tînt habituellement lieu de murs et de grilles, l’introduction de deux étrangers tels que les kavas eût été un fait si scandaleux, qu’il n’était pas même permis d’y penser. Ismaïl cependant était un homme à ressources. : il fit appeler Osman, qui logeait dans la maison, lui conta son affaire et le chargea d’aller en informer Anifé.
Osman reparut bientôt, mais tout consterné. Anifé était au désespoir : il fallait que quelque officieux malveillant eût instruit sa mère et son beau-père du prêt qu’elle avait fait à son mari, car elle avait reçu d’eux une lettre foudroyante, où ils demandaient compte des bijoux qu’on lui avait remis, la sommant de les représenter ou de s’expliquer sur l’emploi de ces valeurs, et exigeant d’elle le serment de ne disposer de rien de ce qui devait lui appartenir sans en avoir reçu préalablement autorisation. Anifé avait prononcé le serment demandé ; quant aux bijoux déjà prêtés, elle s’était excusée de son mieux et s’était engagée à en représenter la valeur quand on l’exigerait, mais elle craignait fort qu’on ne poussât la chose jusqu’aux dernières extrémités. Elle allait écrire de nouveau à sa mère, lui exposer la situation malheureuse de son cher époux, et la supplier de permettre qu’elle vînt encore à son secours ; seulement elle ne pouvait rien prendre sur elle avant d’avoir une réponse, car ce serait ajouter à leurs embarras que de braver l’autorité du kadi.
En voyant sa dernière espérance lui échapper, Ismaïl se mordit les lèvres jusqu’au sang. Il jeta un regard de dédain sur les deux kavas, qui serraient leurs ceintures comme un Européen mettrait ses gants, pour se préparer au départ ; il allongea la main et prit sa fourrure,