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de l’Irlande fut constaté en même temps que la résistance obstinée qu’il devait rencontrer.

À en juger par les apparences, sa situation dans les questions d’Irlande ressemblait à celle où il se trouvait en Angleterre pour les questions économiques : dans l’un et l’autre cas, il avait pour adversaires les deux partis extrêmes, — là les ultra-protestans et les masses catholiques, — ici les conservateurs intraitables du système protecteur et les avocats populaires de la liberté commerciale, sir Robert Inglis et M. O’Connell comme le duc de Buckingham et M. Cobden ; mais au fond la différence des deux situations était immense, et la difficulté des deux tâches incomparable. En Angleterre, la question des céréales n’avait en soi rien d’insoluble, et devait évidemment finir soit par une transaction, soit par l’adoption d’un principe nouveau, plus ou moins fâcheux pour certains intérêts, mais qui ne bouleversait point l’état. Sir Robert Peel avait d’ailleurs affaire là, soit dans le camp de la protection, soit dans celui de la liberté, à des adversaires intelligens, expérimentés dans les luttes politiques, que la passion, même violente, ne frappait pas d’un complet aveuglement, et capables dans la victoire de quelque mesure, dans la défaite de quelque résignation. En Irlande, il avait à refaire toute la société en défaisant toute son histoire ; avec des vainqueurs et des vaincus, des maîtres et des sujets, divers de race, de religion, de langue, et après des siècles de guerre ou d’oppression, il fallait former et former promptement une nation de citoyens égaux et libres, gouvernés comme leurs voisins d’Angleterre ou d’Ecosse. Et à chaque pas dans ce travail surhumain, sir Robert Peel était aux prises d’un côté avec les intérêts et les passions de son propre parti, de l’autre avec les haines, les préjugés, l’ignorance invétérée d’un peuple, et en outre avec l’hostilité personnelle d’un chef populaire, longtemps avocat puissant d’une bonne cause, maintenant charlatan au service d’un désir insensé. Pendant que l’aristocratie protestante anglo-irlandaise, laïque et ecclésiastique, défendait âprement sa domination, O’Connell réclamait avec fracas, au nom du peuple irlandais, ce qu’en aucun cas, à aucun prix, Peel ne pouvait accorder, la destruction de la grande œuvre de Pitt, le rappel de l’union des deux royaumes.

Pendant les sessions de 1843 et 1844, trois grands débats dans les deux chambres, prolongés pendant plusieurs jours, amenèrent l’un et l’autre parti à manifester pleinement, par l’organe de leurs simples soldats comme de leurs chefs, tout ce qu’ils avaient dans l’âme sur l’état et le gouvernement de l’Irlande. Les monumens de cette lutte solennelle nous restent ; en les étudiant avec soin, je suis demeuré confondu, pour les Irlandais du fol aveuglement des espérances, pour les