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importait peu à Ismaïl. Ajoutons que pendant ces six ou huit semaines le bey n’avait pas eu un bon mouvement pour Anifé. S’il se montrait parfois tendre et même passionné, c’était toujours lorsqu’il avait besoin de puiser dans le coffret. Envers son enfant, il n’était ni dur, ni violent : jamais un Turc, si mauvais qu’il soit, ne se permettra de rudoyer une de ces petites créatures sans défense ; mais son indifférence envers ce chef futur de sa race frappait tous les yeux, et les servantes mêmes s’en entretenaient sans ménagement et sans indulgence. Quant à la fille du kadi, elle supportait tout avec une patience infinie ; l’énergie morale semblait chez elle avoir dompté la langueur physique. Calme et hautaine, elle semblait mener au milieu de ces difficultés journalières une vie de contemplation et d’attente.

VI.

Qu’attendait Anifé ? à quel sentiment avait-elle obéi en faisant avec Ismaïl ce marché de bijoux dont les conséquences commençaient à peser si lourdement sur le bey ? Le but de cette vente était évidemment de placer dans les mains d’Anifé un titre dont elle pût se servir contre Ismaïl, et rien n’avait été négligé pour que ce titre eût la validité nécessaire. Peu de jours après la vente, elle avait fait signer par le chiboukdj présent à l’entretien, ainsi que par Osman, une attestation constatant la déclaration faite par le bey, qu’il achetait les bijoux quatre-vingt-quinze mille piastres, et qu’il s’engageait à payer cette somme sur la requête de sa femme huit jours après sa première sommation. » Anifé avait donc entre les mains une arme redoutable ; mais le plan même qu’elle exécutait si froidement accusait dans ses dispositions à l’égard d’Ismaïl un changement qu’il faut expliquer. La haine, ou tout au moins l’indifférence, avait brusquement succédé à cet amour renaissant qui l’avait conduite de Saframbolo à Constantinople. Anifé avait vu, peu de jours après son arrivée chez le bey, se dissiper toutes ses illusions, La brutale insouciance d’Ismaïl avait froissé en elle la dignité de la femme et celle de la mère. Dès ce moment, elle avait formé un projet de vengeance, et ce projet, elle l’accomplissait. Il ne s’agissait plus seulement de dominer Ismaïl, il s’agissait de le punir, et malheureusement pour le bey, de même qu’il y avait eu entre ses deux femmes rivalité pour le rang d’épouse préférée, il allait y avoir entre elles rivalité pour la vengeance.

Maleka, informée du départ d’Anifé pour Constantinople et de l’accueil qu’elle avait reçu d’Ismaïl, avait résolu, elle aussi, de faire expier au bey ses inconstances, trop visiblement intéressées. Ici je