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— Oui, reprit Anifé, c’est grand dommage ; mais on pourrait trouver un moyen…

— Lequel ?

— J’ai promis de ne pas les donner, mais je n’ai pas promis de ne pas les vendre.

— Tu trouveras difficilement…

— Moi, c’est possible ; mais je crois que tu t’en acquitterais mieux que moi.

— C’est-à-dire que tu voudrais me charger…

— Non pas, cela pourrait traîner en longueur ; mes parens pourraient être avertis, et tout espoir serait perdu. Ce sera toi qui les achèteras.

— Et comment te paierai-je ?

— Tu me paieras quand j’aurai atteint ma vingt quatrième année.

— Ah ! Anifé ! Ah ! ma bien-aimée ! ah ! ma charmante, je ne m’attendais pas à tant de générosité…

— Et tu avais tort… À présent que nous sommes d’accord sur le fond de la chose, il faut nous entendre sur les moyens de l’exécuter. Je vais chercher les bijoux, et nous les estimerons ensemble… Mais, j’y songe, c’est Osman qui les a ; je les lui ai remis pour qu’il les gardât pendant la route, et je n’ai plus pensé à les reprendre. Que cela ne t’inquiète pas ! ajouta-t-elle en voyant le frémissement de terreur qu’Ismaïl n’avait pu réprimer ; Osman nous aidera à en fixer la valeur, et nous pourrons ensuite, dans le cas où mes parens seraient instruits de l’affaire, nous pourrons leur dire qu’Osman était présent à la vente des bijoux, que lui-même nous a aidés à en arrêter le prix, que rien enfin n’a été fait sans son approbation. Ce qui irriterait ma mère plus que toute chose au monde, ce serait de voir ces bijoux, auxquels elle tient si fort, cotés au-dessous de leur valeur ; mais, puisque c’est moi seule qui dois être ta créancière, peu importe que ce soit d’une somme ou d’une autre. N’est-ce pas, Ismaïl ?

Qu’avait à répondre Ismaïl ? Cette mine de rubis et de diamans qui venait de s’ouvrir devant lui le fascinait complètement. Il balbutia quelques paroles d’approbation. Les craintes que lui inspirait le caractère chagrin et capricieux d’Anifé avaient disparu, et Anifé elle-même faisait de son mieux, depuis son arrivée à Constantinople, pour ne plus les justifier. De l’or à pleines mains, une femme soumise et charmante, que pouvait-il désirer encore ? Anifé ne laissa pas toutefois Ismaïl longtemps absorbé dans la contemplation de son bonheur. Elle était sortie pour chercher Osman ; elle revint au bout de peu d’instans, tenant à la main un petit coffret et suivie de son cousin. Les yeux de la jeune femme étaient toujours aussi ternes, et