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Osman à sa mère. Le kadi procéda ensuite sans pompe, quoique aussi sans mystère, aux cérémonies d’usage en Asie pour assurer à chaque enfant nouveau-né sa place dans la famille et dans la société. La séquestration des femmes musulmanes a pour effet, il faut bien le reconnaître, d’enlever au public la connaissance des événemens domestiques et de retrancher à la médisance l’abondante pâture qu’elle puise chez nous dans l’intérieur des ménages. Le kadi annonça à ses amis et à ses connaissances que sa belle-fille était mère d’un fils qu’on avait cru mort, mais qui était vivant. Fatma donna la même nouvelle à ses amies. Quant à la jeune Anifé, elle ne prononça pas un mot sur cet événement, et ne permit à personne de lui en parler. La seule pensée de revoir Selim, que la Grecque n’avait pas épargné, la faisait frémir, et après avoir reçu du kadi l’assurance que Selim ne pouvait plus rien contre son fils, elle se donna la suprême jouissance de lui fermer sa porte.

Une démarche restait à faire, et Anifé s’en préoccupait vivement. Il fallait annoncer à Ismaïl qu’il était père, et lui dire pourquoi on avait tardé si longtemps à lui communiquer une nouvelle de cette importance. Tout bien considéré, ce fut le kadi qui eut à tenir la plume. Anifé eût désiré écrire elle-même, mais pouvait-elle passer sous silence ses angoisses, ou parler avec réserve du péril couru par son enfant ? L’épître du kadi fut un modèle de convenance et de mesure. C’était lui, disait-il, qui voulait informer Ismaïl du don précieux que sa fille Anifé venait de lui faire dans la personne d’un garçon superbe, nommé Ismaïl comme son père, Il avait tardé jusque-là à remplir cet agréable devoir à cause des dangers qui avaient menacé dès son aurore la vie précieuse de cet enfant, et qui avaient un moment compromis la santé même d’Anifé. Maintenant que la protection céleste avait rendu un fils à sa mère, il s’empressait d’adresser à Ismaïl-Bey ses félicitations, se réservant de lui donner plus tard et de vive voix, un récit plus détaillé de l’événement.

L’heureuse suite d’incidens qui avait permis à la fille du kadi de déjouer une perfide intrigue était loin de terminer la lutte qui fait le sujet de ce récit, et que nous avons vue commencer au moment même où Ismaïl-Bey avait témoigné une préférence pour l’une des deux veuves de son frère. Ismaïl-Bey se voyait désormais placé entre deux épouses que séparait une haine implacable. Toutes deux disposaient d’influences puissantes, et pouvaient se combattre en quelque sorte à armes égales. Un tel combat était de ceux qui se prolongent indéfiniment, ou que termine quelquefois une trève pire que l’hostilité même.

L’arrivée de Maleka à sa terre de Kadi-Keui vint précipiter le dénoûment d’une situation qui menaçait de s’éterniser. Maleka y ve-