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époque où l’on voudrait arrêter et fixer le cours des temps, car la France y présentait, presque à tous les points de vue, un spectacle admirable. Ce n’est pas seulement dans les finances que l’ordre était rétabli ; ce qu’en l’an VIII on aurait jugé plus que difficile, il semblait revenu dans les esprits eux-mêmes. Intimidés et soumis par l’homme de génie qui occupait le pouvoir, les partis, dont les déchiremens avaient causé tant de mal depuis 1789, marchaient rapidement à la réconciliation, avec une docilité que lui seul pouvait commander et obtenir, et se groupaient autour de lui en lui témoignant leur admiration et leur reconnaissance pour les biens inespérés dont il avait comblé le pays. C’était au dehors une paix glorieuse, au dedans la sécurité et la tranquillité ; c’étaient les autels relevés et tous les cultes honorés ; c’était une administration tutélaire, organisée comme par enchantement et offrant un emploi utile aux facultés de tous les hommes distingués que les phases diverses de la révolution avaient mis en évidence. La France était à peu près unanimement sous le charme, et elle recueillait de cent manières le fruit de cet accord de l’immense majorité des honnêtes gens et des hommes éclairés sous la main habile et ferme d’un héros. La prospérité publique renaissait, l’industrie s’ouvrait des carrières nouvelles, l’agriculture exploitait plus avantageusement que jamais le sol, dont une grande partie reconnaissait de nouveaux propriétaires plus empressés à l’arroser de leurs sueurs. La patrie occupait dans le monde un rang qu’elle n’avait jamais atteint depuis Charlemagne, pas même dans le siècle tant vanté de Louis XIV.

Pourquoi cette paix fut-elle si éphémère ? Ce serait trop nous écarter de notre sujet que de le rechercher. Au bout d’une année, la guerre était rallumée plus terrible que jamais, pour ne finir qu’avec le gouvernement : même de Napoléon. Dans cette lutte gigantesque, à travers les succès qui y illustrèrent nos armes, et à plus forte raison dans les revers qui en marquèrent les dernières ; années, la marché financière ne laissa pas que d’être souvent laborieuse ; mais le bon ordre ne cessa pas d’y régner, et c’est à M. Mollien qu’en revient, on le verra, la plus grande part.


MICHEL CHEVALIER.