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en vertu du nouveau décret, avec le titre de directeur général, fut M. Mollien. Presque au même moment M. Mollien rendit un service dont on lui fut reconnaissant, par la négociation habilement conduite d’une forte partie des rescriptions ou titres de rentes foncières que possédait l’état dans les départemens, le trésor, dans ses tentatives pour en faire de l’argent à Paris, ne les plaçait jusque-là qu’à 60 pour 100 de perte. Les cautionnemens nouvellement imposés aux agens de change devaient être délivrés à la caisse d’amortissement. On lui prit pour les besoins du service courant 6 millions, dont ces cautionnemens faisaient partie, et on lui donna en retour une valeur nominale de 15 millions en rescriptions. M. Mollien, s’il eût été libre, eût refusé de troquer de l’argent comptant contre du papier déprécié à ce point : ce n’étaient pas en effet des valeurs qui convinssent à un établissement du genre de la caisse d’amortissement ; mais quand il eut les rescriptions en portefeuille, il s’appliqua à en tirer parti. En se faisant prêter le concours des agens de l’enregistrement dans les départemens, il négocia si bien avec les propriétaires débiteurs de ces rentes, qu’ils les rachetèrent eux-mêmes à un taux relativement fort avantageux pour l’état, au-delà de 80 pour 100. C’était plus du double de ce qu’on en obtenait avant qu’il ne s’en fût mêlé. Lorsque le fait fut accompli, les deux ministres qui se partageaient alors le soin des finances, M. Gaudin et M. de Barbé-Marbois[1], eurent de la peine à en croire leurs yeux. Le premier consul, dont le regard scrutateur remarquait tout ce qui se passait dans les finances, n’en fut pas moins frappé, et la haute es time que lui inspirait le directeur général de la caisse d’amortissement s’en accrut encore.

Pendant que cette opération marchait, le premier consul fit venir M. Mollien à diverses reprises pour s’entretenir avec lui de différens sujets qui touchaient aux finances. Dans ces tête-à-tête, lorsqu’il y arrivait mal informé, ou avec des opinions fausses, inspirées par des conseillers ignorans, superficiels ou intéressés, il trouvait en M. Mollien un contradicteur qui se défendait avec persévérance ; mais aussi il y apportait lui-même ces manières simples, cette patience qui, dit M. Mollien, « m’avaient séduit dans ma première entrevue, et cette disposition à tout entendre qui encourage l’inférieur à tout dire. »

  1. Le ministère des finances, qui primitivement avait été confié à M. Gaudin à peu près tel que nous le voyons de nos jours, fut dédoublé dans les premiers jours de l’an X pour la commodité du travail avec le premier consul ; un homme seul ne pouvait suffire à répondre aux nombreuses questions que Napoléon adressait et sur lesquelles il ne se payait pas de mots. On sépara alors le service de la recette de celui de la dépense. M. Gaudin garda la première partie avec le titre de ministre des finances ; M. de Barbé-Marbois, qui depuis près d’un an était directeur général du trésor, eut la seconde, sous le nom de ministre du trésor.