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de conseils, M. Mollien dirigea la caisse d’amortissement dans la seule pensée de l’intérêt public.

Ici on aperçoit un autre motif, celui-là tout personnel, qu’avait eu M. Mollien pour employer à la caisse d’amortissement la méthode de la comptabilité en partie double. C’est le moyen de placer auprès d’un administrateur un contrôle incorruptible, auquel rien ne peut échapper, et qui, par les formules mêmes qui en consacrent le témoignage, ne peut rien exprimer que de vrai, soit pour accuser, soit pour défendre. La comptabilité en partie double saisit chaque opération à sa naissance et la définit immédiatement dans ses effets ; elle donne la garantie de l’exactitude des dates par l’obligation de tout écrire sous la dictée même du fait. Non-seulement, elle classe tous les faits analogues dans leur ordre chronologique, mais encore elle maintient tous les comptes ainsi composés dans un ordre tel qu’ils peuvent être tous les jours comparés, soldés, balancés, et que chaque compte peut à toute heure être jugé dans son ensemble et dans chacun de ses articles. M. Mollien obtenait ainsi ce résultat que sa gestion restât à jamais transparente. C’est une sécurité qu’il se donnait à lui-même.

Le premier consul, informé de l’intégrité parfaite avec laquelle M. Mollien gouvernait la caisse d’amortissement, lui en savait gré et n’attendait qu’une occasion pour le lui témoigner. Après que la victoire eut dégagé la France de l’étreinte de l’Europe coalisée et qu’on eut signé le traité de paix de Lunéville, qui allait être suivi de celui d’Amiens, le premier consul redoubla de zèle pour l’administration intérieure, et il se consacra aux finances et à tout ce qui s’y rattachait avec une véritable ferveur. Un jour, c’était vers le milieu de 1801, M. Mollien fut invité à se rendre à la Malmaison pour s’entretenir avec lui. Il s’agissait d’une idée suggérée à Napoléon par le désappointement de spéculateurs à la hausse qui avaient accès au près de sa personne. Pour la première fois, M. Mollien paraissait devant l’homme qui déjà intimidait le monde. En profitant des notions excessives qu’avait Napoléon au sujet de l’étendue des attributions de l’autorité, on avait réussi à lui faire accroire que spéculer à la baisse par des marchés à terme faits à la Bourse était un acte d’hostilité flagrante contre le gouvernement. M. Mollien le trouva dominé de cette pensée. Les deux personnages qui partageaient nominalement le pouvoir avec Napoléon, en portant comme lui le titre de consuls, Cambacérès et Lebrun, étaient présens, témoins silencieux, dit M. Mollien.

Le premier consul entra en matière en rappelant que lorsqu’il avait établi la caisse d’amortissement, son intention avait été d’en faire l’arbitre du cours des effets publics, que l’espérance d’une amélioration