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de contributions directes, la confection des rôles était confiée aux conseils municipaux, qui trouvaient commode de ne pas s’acquitter de ce devoir, sans qu’on eût contre eux un moyen de contrainte. Au 18 brumaire, l’expérience avait parlé haut ; ce débordement d’élections était jugé, et le moment était venu d’établir la règle que le soin d’administrer appartient au gouvernement ou à ses délégués, et que le rôle des corps électifs doit se borner à l’exercice d’un contrôle efficace. Malheureusement on alla au-delà de ce légitime partage d’attributions. Sieyès, proclamant la formule célèbre que la confiance doit venir d’en bas et le pouvoir d’en haut, fit adopter l’expédient des listes de notabilité, qui supprimait l’élection directe par les citoyens, non-seulement pour les fonctions publiques, mais même pour les deux corps politiques formant la représentation nationale, le corps législatif et le tribunat. La prérogative des citoyens se réduisit à composer trois longues listes échelonnées, dites de notabilité, dans lesquelles le gouvernement choisissait les fonctionnaires des communes, des départemens et de l’état, autant qu’il y était expressément astreint par la constitution, et c’était le cas seulement pour un fort petit nombre. Quant aux fonctionnaires de l’ordre administratif proprement dit ou de l’ordre financier, ils étaient à la nomination directe du premier consul. Le sénat puisait dans la troisième des listes, c’est-à-dire dans la moins nombreuse, sans être astreint à aucune règle que sa propre appréciation, les membres du corps législatif et du tribunat, ainsi que ceux du tribunal de cassation et de la commission de comptabilité, qui tenait lieu de cour des comptes.

En ce sens, le 18 brumaire mérite d’être qualifié de révolution plus qu’aucun des changemens politiques qui avaient suivi la prise de la Bastille. On se jetait ainsi brusquement d’un extrême dans l’autre, et quoique priver les citoyens de toute intervention sérieuse dans les affaires publiques soit dans ses effets immédiats un moindre mal que de les laisser s’y ingérer à ce degré que ce soit de l’anarchie, l’un n’est pas plus justifiable que l’autre au point de vue des principes. Ici l’on réduisait à un simulacre la représentation nationale, et l’on créait la dictature en la recouvrant d’un voile trop transparent pour que personne pût s’y méprendre. Il n’est pas superflu de dire qu’à cette énormité Napoléon fut complètement étranger ; elle fut tout entière l’œuvre de Siéyès, qui avait été chargé de préparer avec une commission spéciale la constitution de l’an VIII. Napoléon n’intervint dans cette œuvre que pour substituer à la combinaison chimérique de Siéyès, au sujet des attributions du chef de l’état, un arrangement qui en fît un pouvoir digne de ce nom, au lieu d’une ombre, jouet des autres pouvoirs et de sa propre vanité. Assurément. Napoléon avait le tempérament d’un dictateur ;