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n’enrichit la nation qu’autant qu’on ferait servir le perfectionnement à déterminer une importation inusitée d’or et d’argent ; mais aussi paradoxe commode pour réconforter la conscience troublée dès princes prodigues ou des ministres incapables et prévaricateurs, et pour réconcilier l’âme des courtisans avec leur propre acidité ! Le fait est que l’or et l’argent monnayés que renferme un pays ne sont guère plus la richesse de la société que les charrettes qui transportent les gerbes de blé des champs à la grange ne sont la récolte.

Sur les pas d’Adam Smith, on arrive à une notion bien différente de la richesse. L’espèce humaine, qui primitivement n’avait qu’un petit nombre de besoins, va sans cesse en contractant de nouveaux, parce que, dans son développement, elle conçoit sans cesse de nouveaux moyens d’exercer ses facultés. Afin de satisfaire ces besoins, elle a pour matériaux toutes les substances que la planète lui offre, disséminées et brutes, à sa surface et dans ses flancs, pour instrumens actifs ses propres muscles et les forces tant inanimées qu’animées de la nature, qu’elle courbe sous sa loi, le tout mis en œuvre par la puissance de sa volonté et les lumières de son esprit. C’est ainsi qu’elle se nourrit, se vêtit et se loge, qu’elle contente plus ou moins ses désirs raffinés, le goût du luxe, l’amour des arts, et qu’elle répond à l’appel de toutes ses facultés ; c’est par là qu’elle subvient à tous les services que les hommes se rendent à eux-mêmes ou entre eux. La richesse tangible de la société, qui se compose de l’ensemble des richesses particulières, avec ce que l’état peut posséder en propre, embrasse cette variété infinie d’articles suscités ainsi pour répondre à nos besoins, avec tous les instrumens et moyens qui concourent à les créer, en tant que ces agens divers peuvent être possédés, y compris la terre elle-même. Tous les ans, les hommes, par l’emploi qu’ils font de ces objets divers, détruisent une masse immense de richesses, ou, s’ils ne la détruisent, l’usent partiellement. Tous les ans aussi, ils la refont par leur travail agricole, manufacturier et commercial. De ce travail résulte une production annuelle qui est le revenu brut de la société. Là-dessus l’état prélève pour les besoins généraux de la nation, et les localités pour les besoins communs à leurs habitans, une certaine dîme : c’est l’impôt. Il suit de la qu’il existe un lien intime et une action réciproque entre les revenus publics et les revenus privés. C’est une obligation pour les gouvernemens de ne pas demander aux particuliers au-delà de la part dont ils peuvent faire l’abandon sans éprouver un grand dommage, et de s’abstenir autant que possible de porter l’impôt au point où la matière imposable serait notablement atteinte, et où quelqu’un des organes industriels de la société serait vivement lésé.