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jugea qu’il attirerait trop les regards sur sa personne en restant à la tête d’un grand établissement. Il prit le parti de se consacrer à l’étude, et il choisit les finances publiques pour l’objet de ses recherches et de ses méditations.


II. — ÉTUDES FINANCIÈRES DE M. MOLLIEN SOUS LE DIRECTOIRE.

M. Mollien utilisa alors un pieux souvenir qui datait de son adolescence. Son père, à l’époque où il l’avait définitivement envoyé à Paris, avait eu avec lui un entretien où il lui avait donné des conseils qui devaient guider ses pas, et où il lui avait recommandé un ouvrage nouvellement publié en Angleterre : c’était l’œuvre immortelle d’Adam Smith, la Richesse des Nations. Cette mention particulière s’était gravée dans l’esprit de M. Mollien, qui était un excellent fils et qui avait pour son père toute la déférence que celui-ci méritait si bien. À Paris, il avait entendu dire le plus grand bien de ce livre aux amis qu’avait laissés Turgot en se retirant des affaires publiques ; il avait remarqué surtout que le vénérable et judicieux Malesherbes en parlait très favorablement. Par contre, il l’avait entendu dénigrer dans l’administration par les hommes de l’ancienne routine, qui se disaient si improprement de l’école de Colbert. Il avait vu aussi que M. de Vergennes, pendant une suite d’années l’homme le plus considérable des conseils de Louis XVI, penchait fortement du côté signalé par Adam Smith aux hommes d’état en matière de commerce international. Adam Smith fut donc le guide à la suite duquel M. Mollien fit de profondes études sur les finances.

Dans l’intervalle qui occupa les premières années du directoire, il se sentit, de même que beaucoup d’autres, attiré par une sympathie magnétique vers le jeune général qui, encore simple officier d’artillerie, avait, par ses dispositions habiles, déterminé la prisé de Toulon, et qui, après quelque temps, porté au commandement de l’armée d’Italie, s’y était montré aussitôt digne des plus grandes destinées. Ce n’était pas seulement par ses combinaisons militaires qu’il révélait son génie ; ce n’était pas seulement par ses victoires qu’il étonnait le monde et qu’il entourait d’un éclat inouï la révolution française. La France comptait d’autres grands généraux, moins grands que lui cependant, mais il se faisait une place unique dans les imaginations et dans les cœurs par la modération qu’il montrait en vers les Français réfugiés qu’il rencontrait inoffensifs, par la protection dont il entourait, en dépit des lois révolutionnaires, de pauvres prêtres fugitifs, par les égards qu’il se plaisait à témoigner au chef de l’église catholique, alors même que dans le style officiel de la révolution française on ne l’appelait plus que le prince-évêque de