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professeur Ferrier. Ce très remarquable écrit, composé dans l’esprit de Hamilton, et qui rappelle pour la force et la justesse les formes de sa critique, a pour but principal d’éloigner de l’enseignement universitaire d’Édimbourg une doctrine qui y ferait révolution, et dont l’adoption semblerait indiquer que l’Écosse abandonne la philosophie qui porte son nom.

C’est ce qui n’arriverait pas, si le choix du conseil municipal d’Édimbourg se portait sur un autre candidat, M. Fraser, déjà professeur de logique et de métaphysique au nouveau collége de cette ville. M. Fraser était l’un des disciples préférés de sir William Hamilton. Dans ses leçons et dans ses écrits, il soutient sa doctrine, il reproduit son esprit ; il continue l’école de Reid et de Stewart, en appropriant leurs principes et leur méthode aux nouveaux besoins de la science. Il s’efforce de faire pénétrer la philosophie du sens commun dans les difficultés et les profondeurs de la métaphysique, et de passer, comme ses maîtres, par l’observation, pour arriver, ce qu’ils n’ont point fait, à la démonstration. M. Fraser est d’ailleurs connu dans les lettres comme directeur du North Brltish Review, recueil très estimé, et qui rivalise avec la Revue d’Édimbourg. Il y a publié d’excellens articles qui viennent d’être rassemblés sous le titre d’Essays in philosophy. La théorie de la perception, celle de la causalité, y sont reprises à nouveau dans l’esprit de Reid et de Hamilton, mais avec d’heureux efforts pour ajouter à l’exactitude des idées et à la précision des termes. De nouvelles recherches sur l’infini, un jugement sur Leibnitz, sur la métaphysique de l’école de saint Augustin, prouvent que M. Fraser n’est étranger à aucune question, à aucun système, et qu’il sait habilement les exposer et les juger. Enfin il a discuté également avec convenance et modération, mais avec beaucoup de soin et de solidité, la théorie de M. Ferrier, et il a soutenu en bon Écossais, contre les prétentions de la philosophie déductive, les principes et les procédés de la doctrine psychologique. Il marche dans une voie où l’on est sûr au moins de ne pas s’égarer, et jamais la philosophie qu’il enseigne n’aboutira, comme d’autres systèmes plus prétentieux, au divorce de la science et de la raison. Nous ne pouvons nous étendre ici sur ces graves sujets, encore moins pouvons-nous nous permettre de peser les titres des concurrens à l’un desquels l’université d’Édimbourg ouvrira ses portes ; mais nous faisons des vœux pour que la chaire de Hamilton reste la chaire de la philosophie de Hamilton.

Charles de RÉMUSAT.


V. DE MARS.