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C’est contre le général O’Donnell que je vote de censure était dirigé. Le ministère n’en était point ébranlé, mais il n’obtenait qu’une assez faible majorité. Ce n’était point assez de cette tentative. Une seconde proposition a été soumise au congrès. Il s’agissait ici de l’application d’une loi du 2 août de l’année dernière, qui alloue des récompenses et des grades aux officiers progressistes qui sont censés avoir souffert dans la période décennale du gouvernement modéré. Le général O’Donnell était accusé de n’avoir point obéi aux prescriptions de cette loi. Or sait-on ce qui est résulté de la discussion ? C’est que, pour assurer l’exécution de cette étrange mesure, le ministre de la guerre a nommé 58 brigadiers, 12 colonels, 17 lieutenans-colonels, 142 commandans, 238 capitaines, 212 lieutenans ; c’est un total de 795 grades ou emplois distribués à des officiers progressistes indépendamment de tout titre acquis par des services réels ! Cette fois, il faut bien le dire, le général O’Donnell a été sauvé aux dépens de la bonne administration, et il n’est plus resté au scrutin qu’une imperceptible minorité. Enfin, il y a peu de jours, c’est le ministre de l’intérieur, M. Escosura, qui a eu à se défendre contre une proposition semblable à l’occasion de travaux exécutés sur une des places de Madrid, à la Porte du Soleil. M. Escosura a été sauvé du naufrage par un brillant discours qu’il a prononcé et par une poignée de mains que le président du conseil est venu lui donner après sa harangue.

Ce n’est point sans motif que le nom du maréchal Espartero revient ici. La seule raison en effet de toutes ces propositions, de tous ces votes de censure dirigés contre le général O’Donnell ou quelques autres ministres, c’est l’espoir qu’a le parti exalté d’attirer vers lui le duc de la Victoire. Espartero est évidemment étranger à ces combinaisons des partis, il a même assez vertement désavoué, dans une circonstance récente, quelques-uns de ses amis dont la défection avait rendu douteuse la majorité favorable au cabinet à l’occasion des affaires de la Catalogne ; mais son attitude d’indécision laisse place à toutes les conjectures et à toutes les espérances. Au moment où on le croit décidément rattaché à une politique, un acte, une parole vient tout à coup rouvrir quelque perspective imprévue qui enflamme les partis. Cela tient à une particularité de la nature du duc de la Victoire. La réalité est que le maréchal Espartero n’a point malheureusement de politique : il en a fait tout récemment l’aveu dans la Gazette officielle, en déclarant qu’il n’avait point d’autre mission que d’exécuter la volonté du pays, manifestée par les cortès, quelle que fût cette volonté ; mais si les cortès n’ont point de pensée, si elles ne sont qu’un assemblage flottant de partis qui se balancent sans pouvoir former une majorité assurée, si, sans considération pour les besoins de l’Espagne, cette assemblée constituante prolonge un état exceptionnel qui dure depuis deux ans déjà, que fera le gouvernement ? Il restera ce qu’il est, un pouvoir incertain, et pendant ce temps les émeutes se succéderont dans le pays. L’échauffourée de Valladolid vient jeter un jour nouveau sur cette situation. Le prétexte a été une disette qui n’existe pas. Au fond, c’est un soulèvement des plus basses passions ; la propriété n’a pas même été respectée. Dans cette lutte, qui n’a point manqué de gravité, le gouverneur civil a été blessé. Un certain nombre d’émeutiers ont été pris, et