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menaçante, une politique qui nourrit la vague pensée d’étendre son action jusqu’à l’Europe, et qui prétend couvrir l’Amérique contre toute intervention européenne. Cette idée de la prédominance américaine est le rêve enflammé de ces imperturbables enfans de l’Union, elle se retrouve dans toutes les manifestations, dans tous les actes, dans toutes les doctrines qui règnent, comme dans les partis qui se forment. Quelle est la signification de la fameuse théorie de Monroë ? Elle tend, comme on sait, à exclure l’Europe du Nouveau-Monde, à réserver l’Amérique pour les Américains, en sous-entendant que les Yankees sont les seuls vrais Américains. Quel est le but de ce parti des know-nothing qui naissait l’année dernière ? C’est de faire prévaloir l’élément natif à l’exclusion de tous les autres. C’est une même idée qui prend toutes les formes, qui tend à dominer la politique intérieure et la politique extérieure. L’Europe jusqu’à ces dernières années n’a pas paru s’émouvoir de ce singulier travail qui s’opérait au sein de l’Union, et pendant ce temps le peuple américain étendait partout son action, prenant ou marchandant les provinces à sa portée, convoitant et menaçant les possessions européennes. Chose étrange ! quel est le moment où les États-Unis réclament contre quelques droits exercés par l’Angleterre dans l’Amérique centrale ? C’est justement l’heure où un aventurier américain cherche à s’emparer de ce pays, où le gouvernement de Walker est reconnu par le cabinet de Washington. Le général Pierce conteste les droits de protection de l’Angleterre, lorsqu’il y a peu de temps un de ses agens proposait au Mexique un traité de protectorat qui faisait disparaître cette malheureuse république et la livrait à la domination yankee. Cette politique d’envahissement est tout le programme du parti démocratique, qui vient de se réunir récemment dans une convention à Cincinnati, et qui a choisi M. Buchanan, l’ancien ministre à Londres, comme son candidat à la présidence dans les prochaines élections. M. Buchanan, on peut s’en souvenir, était un des diplomates qui se réunirent à Ostende, il y a deux ans, et qui déclarèrent que si l’Espagne ne consentait pas à vendre Cuba, les États-Unis seraient autorisés par toutes les lois divines et humaines à s’en emparer, parce que Cuba leur était nécessaire. Et quelle est cependant cette société américaine ? A proprement parler, ce n’est point encore une société, quelle que soit sa puissance, quels que soient ses élémens de richesse. Bien des incidens récens révèlent d’étranges mœurs. Le Kansas est aujourd’hui livré à la guerre civile. Les territoires de Nebraska et de Kansas ont été laissés libres, par un bill du congrès, d’admettre ou de repousser l’esclavage. Maintenant il s’agit de savoir quel parti dominera dans les montrées nouvelles, et la lutte se poursuit entre les abolitionistes et les partisans de l’esclavage. La force tranchera la difficulté. C’est du reste le privilège de cette question de l’esclavage de créer un péril incessant pour l’Union et de donner lieu aux plus étranges scènes. Récemment un sénateur de la Caroline du sud, M. Brooks, désespérant sans doute de convaincre par d’autres raisons un de ses collègues abolitionistes du Massachusetts, le colonel Sumner, lui a asséné, au sein même du sénat, un coup de canne qui l’a dangereusement blessé. Le colonel Sumner a failli succomber, des meetings abolitionistes ont été tenus pour demander justice contre cet acte sauvage. M. Brooks n’en est pas