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à attendre des voyages, mais bien encore instruction réelle, d’après La Fontaine,

Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.

Une fois cette part faite à ce qui n’est pas l’action thérapeutique de la source minérale que l’on va chercher, il est aisé de prouver jusqu’à l’évidence que les eaux minérales ont une efficacité bien réelle attestée par les animaux eux-mêmes, pour lesquels on ne peut pas invoquer l’influence de l’imagination. Près de plusieurs sources minérales, et notamment au Mont-Dor, j’ai pu observer combien les bestiaux de toute espèce sont avides de ces eaux. À la gare de Saint-Ouen, près de Paris, les eaux sulfureuses des puits artésiens sont de même fort du goût des bœufs et des chevaux en dépit des beaux vers de Virgile sur les fontaines pures où s’abreuvent, suivant lui, ces animaux avec délices :

Pocula sunt fontes liquidi.


Mais j’ai déjà prévenu les lecteurs de la Revue que la science positive avait un compte à régler avec les faiseurs de couleur locale.

J’arrive maintenant à la théorie physique et chimique des eaux minérales, chaudes ou froides, et de celles de la mer. Il est évident que ces dernières sont le résultat du lessivage des terres par les eaux de l’Océan et que les pluies qui coulent à la surface et sous le sol des continens continuent à porter à la mer le reste des sels solubles contenus dans les terrains que lavent ces eaux courantes. La salure des grands océans est à peu près uniforme, mais dans les mers limitées cette salure peut être plus ou moins grande, suivant la quantité des eaux fluviales que reçoit le bassin de chaque mer et l’évaporation qui enlève l’excédant de ce qui forme le régime définitif de ce bassin. Ainsi la Baltique et la Mer-Noire sont moins salées que l’Océan, et la Méditerranée l’est davantage. Le degré de salure de cette mer doit augmenter continuellement, car elle reçoit des eaux de tous côtés sans en verser dans aucun autre bassin. Par la même raison, la Mer-Noire, qui ne reçoit que de l’eau douce et qui épanche son trop plein par le Bosphore, va continuellement en diminuant de salure, Si l’on prend le nombre 28 millièmes pour la salure de l’Océan, on aura le nombre 30 pour la Méditerranée et seulement le nombre 14 pour la Mer-Noire. Cette mer est donc déjà à demi dessalée. Le lac ou mer de Baïkal dans la Tartarie l’est complètement, et offre des eaux aussi pures que celles des grands lacs du Canada ; mais de plus nous avons dans le lac Baïkal la preuve qu’il était salé autrefois par les phoques, les esturgeons, les éponges qui vivent dans ses eaux, et qui se sont, chose merveilleuse, pliés peu à peu à un changement de régime aussi violent que le passage de l’eau salée à l’eau douce[1]. Par contre, les petites mers ou lacs méditerranéens, comme la Mer-Morte, le lac d’Ourmïah, le

  1. Par une incroyable distraction, Mme Somerville appelle la mer de Baïkal un lac salé, salt lake ; c’est de l’eau pure comme de l’eau distillée et filtrée. Je pense qu’avant peu nous verrons les phoques d’eau douce du Baïkal se jouer dans les lacs du bois de Boulogne. Le phoque est un animal intelligent, gai, très éducable et à demi amphibie ; Homère et Virgile lui ont consacré plusieurs vers.