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père, qui de temps à autre y jette un dollar en grognant. Un jour, Ruth envoie sa petite fille chercher la modique, mais précieuse aumône. — Eh bien ! c’est encore vous ! dit le grand-père en fronçant le sourcil ; vous venez encore chercher de l’argent : croyez-vous donc que grand-père soit fait d’argent ? On doit le gagner, l’argent ; ne le savez-vous pas ? J’ai travaillé dur pour gagner le mien. Qu’avez-vous fait pour gagner celui-là ? — Rien, monsieur, répondit Katy les yeux baissés en tordant le coin de son tablier et en faisant tous ses efforts pour s’empêcher de pleurer. — Pourquoi votre mère ne travaille-t-elle pas et ne gagne-t-elle pas quelque chose ? — Elle ne trouve pas d’ouvrage ; elle cherche cependant beaucoup, grand-papa. — Eh bien ! dites-lui de continuer à chercher, et vous, il faut vous dépêcher de devenir grande pour gagner quelque chose aussi. L’argent ne pousse pas sur les arbres et sur les buissons, vous devez le savoir. Pourquoi votre mère n’est-elle pas venue elle-même ? — Elle est malade. — Il me semble qu’elle est toujours malade… Bien, voilà un dollar, dit le grand-père en regardant la pièce avec affection avant de s’en séparer. Si vous y allez de ce train, vous me prendrez tout mon argent. Croyez-vous que ce soit bien de me prendre tout mon argent ? Rappelez-vous que vous et votre mère vous devez gagner quelque chose, entendez-vous… ? » Toutes les scènes où cet égoïsme mesquin de la bourgeoisie parvenue est décrit ont un cachet de réalité tout particulier, et respirent un parfum de vieux cuivre vert-de-grisé ; aucune des bassesses du cœur n’est omise ; c’est un daguerréotype d’une exactitude impitoyable et repoussante que nos réalistes contemporains pourraient envier.

Un autre type fort curieux d’égoïste, c’est la tante Dolly du roman de Rose Clark. Dans cette société américaine, les contrastes, ainsi que nous l’avons dit, n’abondent guère ; mais il en est deux qui ne peuvent manquer de s’y rencontrer, le contraste du riche et du pauvre, et le contraste naturel de l’âme naturellement bien douée et de l’âme vulgaire. La tante Dolly est une âme vulgaire, et elle a pour ceux qui ne lui ressemblent pas la haine la plus profonde. Ce contraste, qui est très peu apparent dans les sociétés compliquées où l’éducation et l’habitude du monde ont marqué de leur empreinte uniforme tous les caractères, frappe à première vue dans les familles populaires, où la liberté de la nature n’est contrariée en rien. La tante Dolly, personne acariâtre, âpre au gain, avare, n’avait jamais aimé sa sœur, personne recueillie, pieuse, et avide de connaissances intellectuelles. Après la mort de sa sœur, elle se hâta de placer sa nièce à l’hôpital des orphelins, jusqu’à ce qu’elle fût assez grande pour se suffire à elle-même. Les gens parlaient parce qu’elle ne prenait pas soin de la petite fille. Est-ce que cela la regardait ? Il y