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récits de miss Burney ou les pittoresques et ennuyeux Mystères d’Udolphe, comprendront ce que nous entendons par l’attrait du faux. Le romanesque en effet consiste non pas, comme la poésie, à transfigurer la réalité et à l’entourer de lumière mais à créer des combinaisons impossibles où des sentimens exagérés, puissent se donner libre carrière. Le romanesque ne provient d’aucun sentiment élevé, et il n’a aucune noble source ; il est en guerre avec la logique, il n’a pour ainsi dire pas de confiance dans la sagesse de Dieu ; le jeu des lois naturelles du monde lui déplaît, il ne trouve pas la création encore assez admirable. Il a des exigences bizarres de jolie femme capricieuse, de malsaines illusions d’adolescent, des exagérations passionnées de vieux dandy, un prétentieux jargon tout pétri d’invariables formules sentimentales. Ne trouvant pas que la création de Dieu soit assez belle, il ne trouve pas non plus que le destin soit assez dur : il entasse sur une seule tête des malheurs qui, dans la réalité, suffiraient à cent personnes. Il exagère démesurément la faculté de souffrir ; ses réservoirs de larmes sont inépuisables. Le romanesque a réellement quelque chose d’athée et de matérialiste : d’athée, parce que, ainsi que nous l’avons dit, il n’est pas satisfait de l’œuvre de Dieu, et n’a aucune résignation à la sage action des lois, du monde ; — de matérialiste parce qu’il indique presque toujours un amour exagéré de la vie, une recherche des émotions les plus rares, de celles qui embellissent le mieux l’existence. Ces émotions que les lois de la matière et de l’esprit nous recommandent de n’approcher qu’avec respect, et de ne rechercher que d’une manière légitime, sous peine de rendre condamnables les plus beaux sentimens de la vie, le romanesque les appelle et les poursuit avec avidité. Il est donc la poésie de tous les esprits sans noblesse, — la poésie des multitudes moyennes, des multitudes placées entre les masses populaires et les classes élevées de la société. C’est la poésie de ceux dont les rêves ne dépassent pas les bornes du bonheur terrestre, c’est la poésie de ceux à qui la médiocrité de leur fortune défend certaines aventures, ou certains plaisirs, la poésie de ceux à qui une éducation incomplète a donné une vue incorrecte des choses, de ceux qui ont trop cherché à vivre, qui ont trop vécu, ou qui n’ont pas vécu. Malgré cette fausseté qui lui est inhérente, le romanesque, quand il est naïf et quand il se rencontre chez des êtres naturellement honnêtes, est quelquefois plein de charme ; il est gracieux quand il a sa raison d’être, par exemple dans la première jeunesse, à l’époque où l’âme est sans expérience et dans les existences solitaires, dont il décore la nudité de couleurs et de tableaux mensongers. Dans, d’autres conditions, il cesse d’être inoffensif, et il devient extrêmement dangereux.

Mais, dangereux ou non, cet esprit existe et existera aussi longtemps