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Et le kadi se retira. Ainsi admonestée, la vieille se promit d’avoir soin du petit bonhomme comme de la prunelle de ses yeux. Elle n’avait rien avoué, et il se pouvait encore que le kadi ne découvrît rien et que l’affaire en demeurât là. En tout cas, aussi longtemps que le petit allait bien, elle-même ne courait aucun danger, et elle se réglerait à l’avenir sur le prix que Maleka mettrait au service qu’elle venait de lui rendre.

Rentré chez lui, le kadi s’empressa de communiquer à Anifé le résultat de sa démarche. Ce résultat était consolant pour la pauvre mère, car sa plus grande crainte était que la vieille ne parvînt à convaincre le kadi de son innocence, et loin de là, le kadi avait considéré les discours ambigus de la Grecque comme des aveux implicites. Il ne conservait plus le moindre doute sur l’existence de l’enfant, et il était décidé à se livrer aux recherches les plus actives. Ce fut sous l’influence de ces agitations perpétuelles et cuisantes que la pauvre Anifé entra en convalescence.

La lutte engagée entre les deux femmes d’Ismaïl changeait de caractère à la suite de l’odieux complot dont Selim et la vieille Grecque avaient été les instrumens. Désormais ce n’était plus un époux, c’était le père de son enfant qu’Anifé avait à reconquérir dans Ismaïl, et cela sans interrompre les démarches qui devaient lui rendre cet enfant lui-même. Si le bey se montrait indigne de son nouveau rôle, la fille adoptive du kadi ne laisserait échapper aucune occasion de satisfaire son juste ressentiment. Ismaïl cependant ne pouvait se rapprocher d’Anifé sans encourir la colère non moins redoutable de Maleka. Il était donc essentiel d’intimider celle-ci, et c’était à son confident, c’était à Selim-Effendi qu’il fallait faire entendre de sévères paroles. Selim n’avait pas été admis à voir Anifé depuis ses relevailles. Depuis qu’Anifé était mère, un instinct supérieur s’était éveillé en elle. Elle ne jugeait plus personne que par le degré et le genre d’intérêt qu’on portait à son enfant. Elle consacrait de longues heures à réfléchir sur le passé, et elle en venait à regarder l’arrivée de Selim comme la cause de tous ses malheurs. Le départ d’Ismaïl, quoi qu’en dît Selim, n’avait-il pas été provoqué par celui-ci ? Et pourquoi Selim, l’adorateur avéré de Maleka, restait-il en Asie ? Des propos tenus par une servante de la vieille Grecque sur des visites mystérieuses faites par Selim à sa maîtresse venaient confirmer encore la fâcheuse opinion qu’elle avait conçue, du caractère et du rôle de l’ami prétendu d’Ismaïl. Elle résolut de le voir, de l’interroger, et Selim fut admis à lui présenter ses hommages.

L’effendi, trouvant Anifé embellie, commença par lui débiter force complimens. Comme Anifé ne lui répondait pas, il se plut à lui faire entrevoir dans l’avenir des jours meilleurs qui effaceraient la trace des douleurs présentes. Anifé l’écouta toujours sans l’interrompre.