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vite rendu compte de l’impression défavorable qu’il produisait, eut recours, pour la contrebalancer, au moyen le plus sûr d’inspirer la confiance, à la flatterie. Ismaïl était aussi téméraire que maladroit, dit-il, pour s’être mis en hostilité avec une famille aussi puissante que celle d’Anifé, avec des parens aussi tendres et avec des personnes assez habiles pour le réduire au désespoir. Il craignait beaucoup pour lui depuis qu’il le voyait en train de s’attirer l’inimitié du kadi et de son épouse. Sans doute leur générosité tempérerait les effets de leur indignation ; mais un mot de leur bouche suffisait pour le perdre, et auraient-ils l’héroïsme de ne pas prononcer ce mot ? Il continua quelque temps sur ce ton, affirmant que l’épouse délaissée n’était pas tout à fait à plaindre, tant qu’il lui resterait l’appui et l’affection d’une mère telle que la sienne, — et mille autres choses qui effacèrent complètement les préventions conçues d’abord par Fatma. Celle-ci se retira après une conversation qui dura plus d’une heure, convaincue que sa fille possédait en Selim un ami précieux, et se promettant de ne rien décider sans l’avoir préalablement consulté.

La maladie et la réclusion d’Anifé prirent fin quelques jours après cet entretien, et Selim fut de nouveau admis auprès de la jeune femme. Il la trouva fort changée, amaigrie, abattue, pâle, mais toujours assez jolie pour qu’il ne jugeât pas nécessaire de rejoindre Ismaïl. Il s’établit donc auprès d’Anifé en qualité de consolateur ; seulement, comme il redoutait la colère jalouse de Maleka, il lui écrivit qu’il restait auprès de sa rivale pour exécuter les ordres qu’elle lui transmettrait à son égard. Il lui parla de la grossesse d’Anifé, et parut craindre que la naissance d’un fils ne ramenât le volage Ismaïl auprès de sa seconde moitié. Maleka prit feu à cette nouvelle ; elle-même n’avait pas eu d’enfant de son second mariage, et la stérilité est considérée en Orient comme une chose honteuse, une faute impardonnable. La pensée que sa rivale pouvait avoir sur elle un si grand avantage la mit en fureur, et elle écrivit à Selim de commencer la guerre et de la poursuivre par tous les moyens. Elle lui donnait en même temps l’adresse d’une vieille Grecque, remplissant dans la ville de Saframbolo les fonctions de sage-femme, et pratiquant sous ce titre la plus affreuse industrie, celle de hâter la naissance et la mort des enfans qu’on avait intérêt à faire disparaître. « Il est possible, disait Maleka, que les chagrins dont Anifé a été atteinte dans ces derniers temps amènent une fausse couche, ce qui serait maintenant l’événement le plus heureux que vous pussiez m’annoncer ; mais si ma mauvaise étoile triomphe de ces agitations en dépit de la santé délicate d’Anifé, il faudra recourir aux grands moyens. Je ne suis pas tout à fait la dupe des prétextes que vous me donnez sur votre séjour prolongé auprès d’Anifé, et je sais