Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et que dit-on ? s’écria Ismaïl.

— Oh ! des choses absurdes sans doute ; mais enfin l’on prétend que votre épouse s’est emparée de vous par des moyens peu orthodoxes, indignes d’une bonne musulmane.

— Que signifie cela ? dit Ismaïl interdit. Que voulez-vous dire par des moyens peu orthodoxes ?

— Je veux dire que le diable s’en est mêlé, et que votre femme est tant soit peu sorcière. On affirme, par exemple, qu’elle est singulièrement laide, que vous-même l’avez trouvée telle pendant plusieurs années, et qu’au moyen de certains philtres, charmes et enchantemens, elle vous a si bien ensorcelé, que vous avez fini par la trouver charmante. Aujourd’hui même chacun parle de la laideur de votre femme et de votre fatal aveuglement. En vérité, je ne fais que vous répéter en ami fidèle et dévoué ce que j’ai entendu sur votre compte, puisque moi-même je n’ai pas aperçu votre Anifé, et je suis, pour ma part, assez disposé à croire que si vous la trouvez jolie, elle doit l’être en effet.

Ismaïl écoutait Selim bouche béante. Il se souvenait que la beauté d’Anifé ne l’avait frappé qu’un certain jour, et qu’il avait eu quelque peine à s’expliquer le changement soudain survenu dans sa personne. Il se peut que s’il fût entré en possession de l’argent et des bijoux réservés à sa femme par contrat de mariage, il n’eût pas hésité à proclamer sa beauté de bon aloi ; il se peut encore que si Maleka n’eût pas été sur le point de toucher vingt mille piastres, il eût repoussé avec colère et dédain les perfides insinuations de Selim-Effendi ; mais le déboire éprouvé par Ismaïl, le mécontentement qu’il avait ressenti depuis le mariage chaque fois qu’il avait essayé d’obtenir d’Anifé la remise de ses bijoux, la brillante auréole au milieu de laquelle Maleka apparaissait à son imagination, — tout enfin semblait en ce moment conspirer contre la fille de Fatma.

— Et de qui tenez-vous tout cela ? demanda Ismaïl après un long silence.

— De tout le monde, répondit Selim. Et si j’étais aussi superstitieux que vos voisins, je dirais que c’est l’art diabolique de votre femme qui empêche la vérité de pénétrer jusqu’à vous.

— Cela est étrange en effet, reprit Ismaïl. Comment faire ? comment vérifier la chose ? Selim-Effendi, vous êtes mon ami, n’est-ce pas ?

— Pouvez-vous en douter ?

— Écoutez-moi, Selim ; vous êtes franc et vous êtes brave ; voyez ma femme, et dites-moi ce qui en est.

— Je le veux bien ; disposez de moi comme vous l’entendrez. Voyons, comment nous y prendrons-nous ?

— D’abord je vous présenterai à elle comme mon ami d’enfance,