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à la maison lui fait de la peine ou du plaisir, et quand j’y lis qu’il est content, je conclus, sans être sorcière, que tout va bien.

— Allons, allons, repartit Fatma, non sans témoigner quelque impatience, les enfans ne doivent pas regarder ainsi dans les yeux des hommes. Retire-toi dans le jardin, ou va chez ta grand’mère ; nous devons causer d’affaires, ton oncle et moi, et nous n’avons pas besoin de toi.

Anifé prit un petit air boudeur et se retira lentement, non sans avoir jeté un doux regard d’adieu à son oncle.

— Pauvre petite ! dit Ismaïl quand elle fut sortie ; vous la traitez bien sévèrement, et elle ne le mérite pas, car elle est réellement fort gentille.

— Oui, répondit la mère, c’est une gentille enfant ; mais depuis quelque temps elle me donne du souci. Elle, d’ordinaire si gaie et si joueuse, je la trouve changée ; elle est triste par momens, son appétit n’est plus le même, et si elle était moins jeune et surtout moins innocente, je jurerais qu’elle a quelque chose en tête.

— Elle est bien jeune en effet, mais ce n’est plus tout à fait un enfant. Savez-vous que je la trouve fort grandie et singulièrement développée ? Elle sera bientôt bonne à marier. Y songez-vous ?

— Je commence à y songer en effet. Je la garderais volontiers auprès de moi quelques années encore ; mais une mère ne doit pas songer à son propre agrément lorsqu’il s’agit du sort de son enfant, et mon avis a toujours été qu’il faut marier les jeunes filles de bonne heure, surtout lorsqu’elles deviennent mélancoliques et qu’elles perdent l’appétit.

— Et avez-vous quelqu’un en vue ?

— J’ai jeté les yeux sur plusieurs partis sans m’arrêter à aucun. Oh ! j’y regarderai à deux fois avant de confier à un étranger l’avoir de ma fille chérie. Savez-vous que ma petite Anifé sera un bon parti ?

— Oui, elle sera riche un jour ; mais ce jour est encore éloigné.

— Pas autant que vous semblez le croire. Sans doute mes parens et moi nous lui laisserons un grand héritage ; mais elle est riche par elle-même. Si les biens de son père ont été confisqués, il en est que le gouvernement n’a pu atteindre. Mustapha avait de la prévoyance, et il a mis de côté de l’argent et des bijoux qui sont la propriété actuelle d’Anifé. Celui qui l’épousera touchera sur-le-champ une somme assez ronde.

— Vraiment ! vous m’étonnez, ma sœur ; je croyais… je n’ai jamais entendu parler de…

— Ah ! sans doute ; le secret a été bien gardé, et il l’est encore. Je ne me soucie point d’attirer autour de mon enfant une nuée de chercheurs de dots et de mangeurs d’argent.