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épaules et sur sa poitrine nue, et ses yeux bleus resplendissaient d’une douce flamme qui n’eût pas échappé au regard le plus distrait.

— Je ne m’étais pas trompée, dit Anifé avec un charmant sourire et d’une voix qui ressemblait au son d’un luth ; j’ai reconnu de loin le pas de mon oncle. Je vous le disais bien, ma mère, que je ne me trompais pas. Vous ne vouliez pourtant pas me croire. Eh bien ! qu’en dites-vous maintenant ? Personne ne marche comme lui ; les autres hommes ont le pas si lourd, si traînant ; lui, il marche comme une jeune fille.

La mère secoua la tête et parut embarrassée. Ismaïl, qui avait quelques doutes sur la régularité de sa démarche, éprouva au contraire un vif sentiment de bien-être.

— Puisque vous aviez deviné ma présence, chère Anifé, dit-il à sa nièce en se redressant, je dois vous remercier d’être venue ici.

— Oh ! j’y serais venue sans cela, reprit la petite rusée feignant de se raviser, et la joie de voir que son premier coup avait porté amena sur ses joues un incarnat parfaitement conforme à son rôle d’ingénue. Comment se porte ma sœur ? ajouta-t-elle après un court silence. Chère sœur ! nous nous voyons si rarement ; mais, malgré notre séparation et les petites querelles que nous avons eues jadis ensemble, je l’aime toujours bien et je pense souvent à elle ; je suis sûre qu’elle ne pense pas aussi souvent à moi. Hélas ! c’est tout naturel, et je ne lui en veux pas : elle doit être si heureuse ! Quand on est heureux, a-t-on le temps de songer aux autres ?

— Vous voyez bien le contraire, repartit Ismaïl, puisque vous-même, qui êtes assurément aussi heureuse que Sarah, vous ne l’avez pas oubliée.

— Oh ! moi, c’est différent ; je n’habite plus Kadi-Keui… Et elle soupira.

— Ma fille a conservé un attachement extraordinaire pour le lieu de sa naissance, se hâta de dire la mère ; rien ne lui semble comparable à la maison de son père.

— Anifé est née à Constantinople, remarqua Ismaïl.

— Cela est vrai ; mais elle est venue si jeune à Kadi-Keui, qu’elle ne se souvient que du village.

— Vous ne m’avez pourtant pas dit comment se portait Sarah, reprit la petite d’un air de reproche ; mais bah ! ne dites rien, je sais ce qui en est comme si vous me parliez depuis une heure. Sarah se porte à merveille, tout va bien à Kadi-Keui, et mon oncle est content.

— Ah ça ! dit la mère en secouant la tête, qu’est-ce que cela veut dire ? Prendrais-tu par hasard des leçons de magie, ma fille ? Hein ? Comment sais-tu ce qui se passe dans la maison de ton oncle ?

— Il n’y a pas grande magie là-dedans, répondit la petite ; je n’ai qu’à regarder les yeux de mon oncle pour savoir si ce qui se passe