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Une fois les biens d’Ismaïl libérés par cet argent, il jouirait de revenus considérables, et tu pourrais être heureuse avec lui, puisqu’il te plaît. Seulement il faut conduire les choses avec habileté.

— Écoute-moi bien, ma mère. Si j’épouse mon oncle, je ne veux pas me dessaisir d’un seul para. Je consens bien à payer ses dettes, mais je prendrai la place de ses créanciers. Je lui passerai un nœud autour du cou, et il faudra bien qu’il marche à ma fantaisie, qui ne sera pas toujours la sienne.

La mère sourit à ces paroles : l’idée lui paraissait originale. Était-elle morale ? pouvait-elle même assurer le bonheur de sa fille ? C’est à quoi, je le répète, elle ne pensait guère. — Mais comment m’y prendre, reprit Anifé, pour faire remarquer à mon oncle que je ne suis plus une enfant ?

— Oh ! pour cela, tu n’as qu’à lui plaire. Si tu lui plais, il aura bientôt ouvert les yeux.

— Lui plaire ! je ne demande pas mieux, et je m’y essaie autant que je puis ; mais il faut m’enseigner le moyen de réussir.

— Maleka n’est pas douce, il doit être fatigué de sa vivacité et de son esprit mordant. Ce que tu as de mieux à faire, c’est de paraître en tout l’opposé de ta rivale. Prends des dehors languissans et doucereux. Puis il est un moyen sûr de captiver non-seulement Ismaïl-Bey, mais tous les hommes, quels qu’ils soient ; ce moyen, c’est la flatterie. Feins d’admirer ton oncle. Ismaïl boite, loue sa démarche élégante ; il louche, vante les charmes de son regard ; il est retors, loue sa franchise. Sois toujours de son avis, et tu le verras bientôt à tes pieds…

— Il m’en coûtera de lui faire des complimens, mais qu’importe ? Je trouverai le courage de le louer en pensant à la revanche que je prendrai plus tard.

L’entretien se prolongea encore quelque temps. Nous en avons dit assez pour montrer quel horizon la noble Fatma venait d’ouvrir à sa fille, impatiente d’essayer sur le pauvre Ismaïl les leçons de ruse et de coquetterie si libéralement données par l’expérience maternelle.

L’heure de jouer le rôle dont Anifé avait si vite compris toutes les finesses fut hâtée par la situation difficile où se trouvait Ismaïl, qui crut devoir sans retard solliciter l’appui de Fatma auprès du kadi. S’étant fait annoncer à sa belle-sœur, Ismaïl fut aussitôt introduit dans l’enceinte sacrée : il trouva la maîtresse du logis seule, étendue sur son sofa, fumant un narguilé, et se livrant en apparence à toutes les douceurs du farniente ; mais à peine avaient-ils échangé les formules ordinaires de la politesse musulmane, qu’un pas léger se fit entendre au dehors, et que la petite Anifé, parée avec toute la coquetterie d’un âge plus mûr, parut sur le seuil. Ses cheveux d’un blond doré tombaient en mille petites tresses sur son cou, sur ses