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familière, que le savoir doit s’y défier du pédantisme, et que la liberté des allures ne doit faire oublier ni la dignité ni la grâce. L’Allemagne connaît les trois poètes du roi de Bavière : c’est M. Emmanuel Geibel, un des maîtres du langage et l’un des chanteurs les plus aimés depuis qu’Uhland se tait ; M. Paul Heyse, tout jeune encore et célèbre déjà par quelques poèmes pleins d’originalité et de feu, comme aussi par ses doctes et brillantes études sur les littératures romanes ; enfin M. Frédéric Bodenstedt, l’historien des peuples du Caucase, le traducteur de Pouchkine et de Lermontof, l’auteur des chansons si gracieuses, si originales, publiées sous le nom de Mirza-Schaffy, le poète qui a donné à la scène allemande le beau drame de Démétrius.

Un point important, c’est que tous ces hommes appartiennent à différens pays de l’Allemagne, et que le roi, avant de les appeler à lui, ne leur a pas demandé s’ils étaient protestans ou catholiques. Il ne leur a pas imposé non plus telle ou telle route à suivre ; beaucoup d’entre eux sont professeurs à l’université, mais on en cite plus d’un qui reçoit un traitement de l’état sans contracter d’autre obligation que d’habiter Munich et d’y travailler à ses heures. Il en est même qui ont rang parmi les favoris de la fortune, et qui, n’ayant pas besoin des encouragemens du roi, viennent chaque année passer l’hiver à Munich pour répondre à son invitation expresse. Tel est ce gentilhomme du Mecklembourg, M. le baron de Schack, à la fois érudit et poète, le traducteur habile de Firdousi, l’homme qui connaît le mieux dans son histoire générale et dans ses détails intimes le théâtre de Torrès Naharro et de Gil Vicente, de Lope de Vega et de Calderon. On devine quelle variété d’élémens cette pléiade d’écrivains introduit à Munich, que d’idées, que de principes, quelle vie originale et libre, et combien on est loin de l’époque où les arts muets du dessin avaient seuls la parole. Or, sans que le roi y eût songé, il s’est trouvé que la plupart de ces hommes appartenaient à la religion protestante. Cela seul a fourni un texte d’accusations et de plaintes aux partisans de l’ancien roi. Les hommes qui regrettent le régime déchu, la fraction du clergé qui aspire à dominer l’état, en un mot tous ceux à qui les événemens du mois de mars 1848 ont enlevé l’influence et le pouvoir, vont répétant partout que Maximilien II veut protestantiser la Bavière. On prétend même que le roi Louis, désespéré aujourd’hui d’avoir abdiqué trop vite, ne garde pas sur ce point toute la réserve convenable. On affirme que sa vivacité fantasque lui donne souvent de singuliers conseils ; on raconte qu’il est sorti plus d’une fois de son palais de Wittelsbach pour se mêler aux joyeuses assemblées du peuple et semer la défiance contre le roi son fils… Mais que vais-je dire ? Laissons là ces propos de Munich. Je veux croire qu’il y a beaucoup d’exagérations