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éveiller le goût des choses élevées, ils peuvent tracer une voie, donner des exemples, entretenir le zèle de tous. C’est ainsi que M. de Bach et M. de Thun ont compris leur tâche, et leurs efforts, on peut l’espérer, ne resteront pas stériles.

Et le concordat ? L’objection est sérieuse. Pour ma part, je n’ai pas manqué de l’adresser à ceux qui se félicitaient avec moi des progrès inespérés de l’esprit libéral en Autriche. Or la réponse qu’on me faisait est un symptôme de plus qui atteste la confiance de l’opinion. — Le concordat, me disaient les hommes les plus graves, ne sera jamais un obstacle au développement du siècle ; c’est une affaire particulière entre l’état et l’église. Le traité que l’Autriche et le saint-siège ont conclu l’année dernière, s’il est interprété comme il doit l’être, ne produira que des résultats heureux ; ne convient-il pas que l’église soit libre dans tout ce qui est du domaine de la foi ? Si elle sort de son domaine, si elle aspire à une action temporelle, si elle prétend régler les intérêts d’ici-bas, gêner les religions rivales et tyranniser les consciences, elle rencontrera dans l’esprit de la société moderne une insurmontable barrière. Il y a plus, et c’étaient des libéraux très intelligens qui tenaient ce langage, le concordat est un bénéfice inespéré pour la société autrichienne. Avant les concessions de 1855, le gouvernement était disposé à céder en toutes choses aux exigences de l’église. Maintenant que des concessions exorbitantes ont été faites, maintenant que la politique envahissante de certains hommes exploite avec une sorte de triomphe cette condescendance de l’état, l’état est sur ses gardes. Il livrait tout hier ; aujourd’hui le voilà défiant, et déjà il s’apprête à résister. — Un grand évêque, il y a deux siècles, proclamait sur ce point les vrais principes avec l’autorité du génie et de la foi : « Ces deux puissances d’un ordre si différent ne s’unissent pas, mais s’embarrassent mutuellement quand on les confond ensemble. » Cet embarras dont parle Bossuet a commencé à se faire sentir en Autriche ; voilà le résultat inattendu dont se réjouissent les libéraux. Ils ont la ferme confiance que cette crise servira à marquer avec plus de précision les rapports de l’état et de l’église, à distinguer plus nettement le double domaine, à fixer enfin la sainte liberté de la religion catholique et la liberté toute différente acquise pour toujours aux sociétés modernes. Les hommes qui regrettent le plus vivement le concordat, ce sont, parmi les catholiques eux-mêmes, ceux que j’appellerai les politiques, je veux dire les esprits pratiques et sensés, depuis les conseillers supérieurs de l’état jusqu’aux plus humbles des fonctionnaires. Quelle faute ! s’écrient-ils ; quelle source de difficultés et de conflits ! Je comprends cette plainte, car ce seront eux surtout qui auront à prévenir ou à terminer ces conflits, à se débattre