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faute à se faire pardonner. M. de Bach, grand démocrate autrefois, l’un des auteurs de la révolution de mars, avait été fidèle, dans les premières années de son ministère, à l’esprit libéral que représentait son nom. Depuis lors, gêné peut-être par les souvenirs de sa vie, il s’est rapproché peu à peu du parti opposé, et s’il y a eu des mesures regrettables à signaler, presque toujours c’est de lui qu’elles émanaient. M. le comte de Thun se reproche aussi sans doute, au fond de la conscience, d’avoir été jadis le chef enthousiaste des Tchèques de Bohême, et d’avoir si complètement oublié les intérêts de ses frères. Les hommes qui, avant d’arriver au pouvoir, ont été franchement et décidément libéraux sans courtiser jamais les passions populaires, sont bien autrement à l’aise pour accomplir le bien ; telle est la situation de M. de Bruck en face de ses deux collègues. Je disais donc que M. de Bach et M. de Thun n’étaient pas et ne pouvaient pas être les hommes les plus libéraux du ministère ; ils déploient cependant le plus grand zèle à protéger les travaux littéraires. Protéger, ce n’est pas assez dire ; ils les sollicitent, ils les provoquent ; ils veulent que Vienne, comme Leipzig et Berlin, devienne aussi une capitale dans le royaume des livres. Ce zèle est parfois singulier et de nature à faire sourire ; le meilleur moyen de se recommander auprès de M. le comte de Thun, c’est de publier un ouvrage. L’ouvrage est-il bon, tant mieux ; il est faible, vulgaire, insignifiant, n’importe : cela fait nombre. Ce nombre en effet va s’accroissant de jour en jour. M. le baron de Bach vient de faire dresser, par le bibliothécaire du ministère de l’intérieur, une statistique complète des livres parus en 1854 dans la monarchie autrichienne, et il annonce qu’un travail semblable sera publié régulièrement chaque année. Tous les états, toutes les nationalités de l’empire sont représentés dans ce vaste cadre ; les Italiens y tiennent leur place à côté des Magyares, et les Tchèques en face des Allemands. Cette statistique, rédigée avec beaucoup ’de soin par M. Wurzbach, révèle la sollicitude littéraire et l’intention politique du ministre. Au lieu d’un simple catalogue, M. Wurzbach a donné une sorte de tableau comparé de la vie intellectuelle dans les états de l’empire. Cette sympathique attention accordée à des littératures si diverses, ce soin de les réunir, de les confronter, de les compléter l’une par l’autre, n’est-ce pas un excellent moyen de préparer, s’il est possible, l’unité de la monarchie autrichienne ? On me demandera si ces encouragemens de M. de Bach et de M. le comte de Thun ont déjà produit des écrivains d’élite ; non, certes, et je me défierais d’une réputation qui ne reposerait pas sur d’autres bases. Les gouvernemens ne sont pas chargés de susciter les hommes de génie, les ministres n’ont pas le secret qui fait naître les penseurs et les poètes ; mais ils peuvent