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les destinées de leur patrie. Personne, il y a seize ans, n’eût osé tenir un pareil langage. Cette proclamation de l’affaiblissement de la Prusse rappellera à tous quel est le fondement de ce royaume, c’est-à-dire son principe et son droit d’existence. Le gouvernement s’arrêtera sur une pente fatale, la domination des piétistes disparaîtra, les hobereaux entreront dans les ténèbres d’où ils sortent, et à supposer même que cette crise dût se prolonger encore en expiation des délires de la démagogie, le parti sensé, libéral, en un mot l’immense majorité de la nation, ne désespérera plus de ses destinées. M. de Vincke reprendra son poste à la seconde chambre, les électeurs ne renonceront pas à leurs droits ; orateurs et publicistes, dans la mesure de ce qui est permis, combattront le mal, défendront le bien, et tiendront haut et ferme jusqu’au dernier jour ce drapeau de la liberté de conscience sous lequel a grandi la Prusse.


II

Si ce tableau de la Prusse attriste votre esprit, allez à Vienne : jamais contraste plus inattendu n’aura frappé vos regards. À Berlin, tout paraît languir sous de fâcheuses influences ; tout semble s’éveiller dans la capitale des Habsbourg. Je ne prétends pas assurément justifier tous les actes du ministère impérial ; on peut avoir des doutes sur bien des points de la politique générale, et certaines tendances trop manifestes doivent exciter de justes appréhensions : comment nier cependant l’espèce d’entrain avec lequel se poursuit d’heure en heure la transformation du peuple autrichien ? De toutes les puissances de l’Allemagne, l’Autriche est la seule qui ait gagné à la révolution de 1848. C’est celle en effet qui avait le plus besoin de se renouveler de fond en comble : elle a compris dès le premier jour cette nécessité impérieuse, et elle s’est mise résolument à l’œuvre. Un esprit audacieux, le prince Félix de Schwarzenberg, sentant bien que la politique expectante de M. de Metternich ne pouvait plus conjurer tant de périls et résoudre tant de problèmes, a osé prendre l’initiative des réformes. C’était un homme à vastes projets. Une ambition toute patriotique éclairait son intelligence et donnait l’essor à son audace. Il lui arriva de dire un jour : « Il n’y a place en Europe que pour trois grands empires, la France, la Russie et l’Autriche. » C’était là sans doute un chimérique programme, mais du moins le prince de Schwarzenberg avait eu le mérite de concevoir pour son pays une existence glorieusement active. L’Autriche s’endormait ; il lui a ordonné de marcher. Surtout il a donné l’exemple de l’action, il a laissé des traditions fécondes. Après l’impulsion efficace qu’il avait imprimée à tous les services, il n’était plus permis à ses successeurs