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mieux s’avouer à elle-même la diminution de son influence. Aussi voyez le résultat de cet abattement moral ! On sait quel était autrefois le légitime orgueil de Berlin. Cette docte cité a toujours eu confiance en elle-même ; elle était fière de son université et de ses écrivains illustres, elle était accoutumée depuis un demi-siècle à se considérer comme la capitale intellectuelle de l’Allemagne : aujourd’hui l’activité littéraire a presque disparu ; sous la compression du piétisme, le vide s’est fait par toute la Prusse. Certes l’université est toujours honorée par des maîtres éminens, l’académie des sciences de Berlin est toujours un cénacle vénéré ; mais cette littérature libre, indépendante, qui se nourrit, non pas d’érudition, mais de la vie même du siècle, qui exprime, non le passé, mais le présent et l’avenir, où est-elle encore ? Je citerai deux ou trois noms, et rien de plus. Varnhagen d’Ense est triste et irrité ; Adolphe Stahr tourne les yeux vers Paris ; la littérature prussienne a émigré, le mouvement des esprits semble se porter ailleurs. Il est à Heidelbérg avec M. de Bunsen, il est à Dresde au milieu d’une société brillante d’écrivains et d’artistes, il est à Leipzig, où deux Prussiens, deux écrivains de talent, M. Julien Schmidt et M. Gustave Freytag, rédigent le Messager de la Frontière.

Croit-on que les hommes politiques soient moins découragés que les écrivains ? Sur le champ de bataille des luttes électorales, les libéraux constitutionnels ne protestent plus que par leur abstention, et le chef éloquent de ce parti, l’ancien défenseur des droits des souverains au parlement de Francfort, le noble comte de Vincke, a abandonné son siége à la seconde chambre. J’ai vu même, qui l’aurait cru il y a seize ans ? j’ai vu des publicistes prussiens qui jetaient un regard d’envie sur l’Autriche. « C’en est fait, me disait-on, c’en est fait pour longtemps de la suprématie de la Prusse en Allemagne. Si nous sommes Allemands ayant d’être Prussiens, si nous souhaitons par-dessus tout la prospérité de la grande patrie, nous devons nous attacher de préférence à l’état qui est le plus en mesure de servir la cause générale. Qu’on approuve ou non tous ses actes, l’Autriche a joué un rôle important dans la question d’Orient, et la paix va lui ouvrir une carrière immense. Placée entre les puissances de l’ouest et l’Europe orientale, c’est elle qui profitera surtout de la liberté du Danube. Son activité industrielle et commerciale, si agrandie déjà depuis la fondation de la société du Lloyd, prendra de nouveaux accroissemens sous l’impulsion du ministre qui dirige ses finances. C’est là que sont les ressources vivaces et les promesses de l’avenir. — Mais la vie intellectuelle ? disais-je ; mais l’esprit, les lettres, les sciences, la liberté, la philosophie ? — Hélas ! me répondait-on, l’Allemagne est lasse de la philosophie ; elle a abusé