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neveu de Frédéric le Grand prétend bien ne pas se livrer sans réserve à cette réaction étourdie. « Nous marchons à un 93, » disait récemment le prince de Prusse. De telles paroles font réfléchir. La mort de M. de Hinckeldey a dû toucher aussi le noble cœur de Frédéric-Guillaume IV. De pareilles catastrophes ont une influence décisive, et en voyant disparaître l’un des meilleurs soutiens de son trône, en voyant ce deuil, cette indignation de tout un peuple, il est impossible que le roi ne se rattache pas aux hommes qui partageaient les convictions et suivaient la politique de M. de Hinckeldey. Les sentimens élevés d’une âme sincère et droite triompheront des fantaisies de l’intelligence. L’enquête ne produira rien, les accusations de M. Seiffart seront oubliées, M. de Manteuffel restera premier ministre.

Cependant, il faut bien le reconnaître, quelle que soit l’issue de l’affaire de Potsdam, il en reste et il en restera longtemps une impression des plus fâcheuses. Ajouté à tant d’autres, le scandale de ces accusations a jeté un découragement profond dans les esprits. J’ai entendu les hommes les plus graves, les serviteurs les plus dévoués de la monarchie prussienne, en exprimer leur confusion avec une tristesse navrante. À quel moment se déroulaient ces édifiantes aventures ? Au moment même où le congrès se réunissait à Paris, où d’un côté la France et l’Angleterre, l’Autriche, le Piémont, la Turquie, de l’autre l’empire des tsars, discutant les conditions de la paix, ouvraient une carrière nouvelle à l’Europe et au monde. Toutes les grandes puissances, des puissances même du second ordre, prenaient part aux débats ; la Prusse seule n’était pas là et n’avait pas le droit d’y être. Les bases de la paix une fois posées, le congrès a fait appel à la Prusse, car il fallait bien la signature de la Prusse pour que le traité du 30 mars 1856 fût l’annulation complète des traités de 1815 ; mais ce dédommagement arrivait trop tard, et la douleur publique ne fut pas consolée. Qu’importe que les diplomates prussiens aient assisté encore à d’importantes séances ? qu’importe que M. de Manteuffel et M. le comte d’Hatzfeld aient pu faire entendre des paroles sages et utiles ? On sentait bien à Berlin que, sans les hobereaux et les piétistes, le pays de Frédéric le Grand aurait joué un autre rôle dans ces grandes affaires qui tenaient le monde en suspens.

Encore une fois, l’humiliation nationale a été profondément sentie. C’est en vain qu’on s’efforce de tromper la douleur d’un grand peuple ; c’est en vain que le président de la seconde chambre a osé faire honneur des résultats du congrès au gouvernement de Frédéric-Guillaume IV : cette maladresse insigne n’était propre qu’à irriter la blessure. Cette fière nation, dans sa loyauté et sa franchise, aime