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est perpétuellement au concours, et il peut résulter de là une émulation salutaire ; mais pour que ce dédommagement soit efficace, il ne faut pas craindre de proclamer, à de certains intervalles, les résultats de la lutte. Si un état qui conduisait naguère les esprits et inspirait au patriotisme une légitime confiance lutte péniblement aujourd’hui contre des influences pernicieuses, pourquoi ne pas constater ce que sa situation a de critique ? S’il en est d’autres qui se relèvent, qui grandissent, qui déploient une activité inattendue, n’est-ce pas un devoir de mettre ces transformations en lumière ? C’est ce devoir que je veux remplir. Je placerai en regard la Prusse, l’Autriche, le groupe des états secondaires, et si j’offense çà et là des vanités aveugles, je suis bien sûr de ne pas déplaire à ceux qui se préoccupent, non pas de l’est ou de l’ouest, du midi ou du nord, mais du génie même de la race germanique. Il est des choses qu’un publiciste allemand ne peut pas dire, parce qu’elles coûteraient trop à son cœur. L’Allemagne me saura gré de les avoir exprimées sans parti pris et sans passion.


I

Il y a une quinzaine d’années environ, il était impossible à un observateur impartial de ne pas être frappé de la prééminence de la Prusse au sein de l’Allemagne. Si elle n’avait pas donné une force nouvelle aux principes et aux traditions qu’elle représenté, du moins ne les reniait-elle pas. Elle était encore en possession de tous ses glorieux souvenirs. C’était toujours la Prusse du grand électeur et de Frédéric II ; c’était cette fière dynastie de Brandebourg qui avait continué l’œuvre de Gustave-Adolphe, qui avait gagné sa couronne en se battant pour la liberté de conscience, et que Louis XIV avait été obligé de reconnaître en même temps qu’il reconnaissait Guillaume d’Orange comme le souverain d’un pays libre. Bien que la race des chefs résolus semblât éteinte avec Frédéric II, l’esprit de la Prusse n’avait pas disparu. Un roi vénérable, au milieu de ses indécisions et de ses faiblesses, avait montré en de graves circonstances une fermeté d’âme vraiment digne de son trône et de son peuple. Abattue à Iéna et à Auerstaedt, la Prusse de Frédéric-Guillaume III n’avait pas désespéré ; on l’avait vue, au contraire, faire appel aux forces de l’esprit, c’est-à-dire à son principe même, et se fier vaillamment aux ressources morales de la nation. L’université de Berlin, fondée en 1810, au lendemain des catastrophes qui pouvaient faire rayer de la carte le royaume de Frédéric II, attestait éloquemment cette foi dans les viriles destinées du pays. Aussi, d’un bout de