Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

con. La colombe, comme pour échapper aux serres de l’oiseau de proie, s’alla réfugier dans le giron du roi Civi, alors assis sur son trône. Le prêtre officiant qui se tenait auprès du prince dit à celui-ci : « C’est pour sauver sa vie et par crainte du faucon qu’elle est arrivée vers vous ; elle demande à vivre, accordez-lui ce qu’elle veut, et faites qu’elle échappe, car la mort d’une colombe est un grand crime, ont dit les sages. » À son tour, la colombe apprend au roi qu’elle est un étudiant brahmane, versé dans la connaissance des saintes écritures, un novice chaste et sans péché qui est venu se jeter dans les bras du prince pour échapper aux poursuites de l’ennemi ; « Ne me livre pas, n’abandonne pas au faucon le deux-fois-né caché sous l’apparence d’un oiseau timide. » Là-dessus, le faucon prit la parole : « Je suis dans mon droit, j’agis conformément à ma nature. Dans l’ordre des naissances et dans la classe des êtres, j’ai la priorité sur cette colombe. Puisqu’elle est entre tes mains, tu ne dois pas me faire obstacle. » Le roi éprouvait un grand embarras, car les deux oiseaux avaient parlé fort raisonnablement l’un et l’autre. Cependant il se mit à dire tout à coup : « Non, il ne pleut point en la saison des pluies, non, la semence confiée à la terre ne pousse pas en son temps, pour celui qui livre à son ennemi, un être frappé de crainte et réfugié près de lui, et il n’obtiendra pas d’échapper à son tour à l’heure du danger. La créature née sous une forme chétive est toujours molestée, car ses parens ne suffisent pas à la protéger. Celui qui livre à son ennemi un être frappé de crainte et réfugié près de lui, non, il ne verra point son offrande agréée par les dieux ! Il se nourrit de folie, et il tombera bien vite du monde des deux, celui qui livre à son ennemi un être frappé de crainte et réfugié près de lui, car les dieux, et Indra le premier, le frapperont avec la foudre. De la chair de buffle cuite avec du riz, voilà ce que je vais te faire servir au lieu de la colombe. Dans le lieu qui te plaira, ô faucon, cette viande te sera portée par ceux qui l’auront préparée.

« — Non, réplique l’oiseau de proie, ce n’est point du buffle que je veux ; je demande la chair de cette colombe, ni plus ni moins. Les dieux me l’ont livrée en pâture aujourd’hui. En l’absence de tout autre oiseau, livre-la-moi !

« — Ce sera la chair de buffle, et nulle autre, que mes gens vont t’apporter, reprit le roi. Ils verront comme je suis miséricordieux envers celui qui est en proie à la crainte, et ils te conduiront près de moi, de peur que tu ne fasses du mal à cette colombe. J’abandonnerais la vie plutôt que de livrer la colombe, car elle est inoffensive, je le sais bien, ô faucon ! Et toi, n’agis pas selon tes instincts pervers, ô doux oiseau, car d’aucune façon je ne te livrerai la colombe ! Mais afin que les êtres qui vivent de chair soient satisfaits de ma ma-