Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas assez tenu compte de cette différence ; ils ont employé en France, par esprit d’imitation, les mêmes argumens que Cobden et ses amis en Angleterre, et comme l’état véritable des choses en demandait d’autres, toute leur argumentation a porté à faux ; au lieu de persuader, ils ont irrité.

Quand la ligue s’est formée de l’autre côté du détroit, les droits perçus à l’entrée des denrées alimentaires enchérissaient réellement le prix de la viande et du pain. Cet enchérissement artificiel pesait sur la totalité du peuple anglais, dont un quart seulement travaille les champs, et qui, par suite de l’organisation économique du pays, achète tout ce qu’il consomme, qu’il contribue ou non à le produire. L’accroissement de la population devenait tel que, malgré les immenses progrès faits par l’agriculture, la production ne pouvait plus suffire à nourrir la nation ; un déficit normal, régulier, parfaitement constaté, de 25 millions d’hectolitres de tous grains par an, pour les céréales seulement, s’était déclaré. On avait devant soi une véritable famine ou du moins un enchérissement progressif, et cette situation violente ne profitait qu’aux propriétaires du sol, dont la rente, déjà fort élevée, allait s’accroître encore par le seul effet de la hausse, sans qu’il y eût de leur part aucune émission nouvelle de travail, de capital ou d’invention, qui justifiât ce surcroît de profits. Dans une pareille crise, les ligueurs avaient bien quelque droit de crier au monopole ; ils avaient raison au fond, sauf l’exagération des termes, et Ce qui le prouve, c’est que le chef de l’aristocratie anglaise, sir Robert Peel, comprit la nécessité de céder à temps.

En France, rien de pareil. La population atteignait à peine la moitié de la population anglaise, à surface égale. Le prix des denrées alimentaires, s’il approchait sur quelques points du taux anglais, tombait sur beaucoup d’autres à la moitié, et pouvait être considéré comme inférieur en moyenne de 20 à 25 pour 100. La plus grande partie du peuple, appartenant à la classe agricole, se nourrissait en nature et n’achetait rien sur le marché. La production annuelle suffisait à la consommation et pouvait même fournir un léger excédant. Un nombre énorme de petits propriétaires enlevait à la propriété jusqu’à la moindre apparence de monopole. La rente des terres, inférieure en moyenne de moitié à la rente anglaise, s’élevait tout au plus au quart dans une grande partie de la France, cultivée par des métayers. L’industrie agricole ne prospérait qu’autour de Paris et des autres grands centres de population ; partout ailleurs elle souffrait faute de débouchés.

C’est à une agriculture ainsi constituée que quelques imitateurs de Cobden sont venus parler le langage qu’on avait tenu avec raison à l’oligarchie anglaise. On a dit à des cultivateurs pauvres, obérés,