Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/854

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois qu’il s’agit d’importer les grands procédés de l’agriculture Anglaise, on est arrêté par le défaut de capitaux accumulés ; il n’y a guère que l’association qui puisse les fournir. Ce qui nous reste de grands propriétaires a généralement peu de goût pour les entreprises agricoles ; la plupart ont plus de terre que d’argent, et les grandes fortunes sont soumises comme les autres aux causes permanentes de dislocation, qui rendent difficiles les efforts persévérans. Des compagnies bien organisées pourraient remplir la place de ces grands seigneurs anglais qui ont à administrer d’immenses domaines. Il est surtout un ordre de travaux qui appelle en quelque sorte leur intervention, c’est la mise en valeur des terres incultes.

La statistique accuse 9 millions d’hectares incultes, ou l’équivalent de quinze départemens ; le tiers environ n’est bon qu’à porter du bois, mais les deux tiers, ou 6 millions d’hectares, pourraient être cultivés ; ceux même qui ne sont propres qu’au bois rapporteraient, s’ils étaient semés, un revenu considérable. Conquérir au travail et à la production ces 9 millions d’hectares, ce serait en réalité augmenter d’un sixième l’étendue du sol national. Presque tous sont situés dans la moitié méridionale de la France ; la Bretagne est la seule province du nord qui en possède de vastes étendues. On a souvent échoué jusqu’ici quand on a voulu les mettre en valeur, parce qu’on ne s’était pas rendu compte des capitaux et du temps nécessaires pour cette opération. À 600 francs par hectare, ce qui est un minimum, il ne faut pas moins de cinq milliards, et on devrait probablement, pour bien faire, aller jusqu’à dix ; à 100 millions par an, on en a pour un siècle. Jamais plus grande et plus belle œuvre n’a pu tenter l’ambition des capitalistes ; mais rien ne serait plus dangereux que de l’entreprendre avec des capitaux insuffisans : mieux vaut laisser ces terres dans l’état où elles sont que de disséminer sur de vastes espaces des efforts improductifs.

Cette immense révolution s’accomplira cependant, ou, pour mieux dire, elle s’accomplit déjà dans la mesure des faibles ressources qu’on peut y consacrer. Plusieurs milliers d’hectares incultes passent tous les ans à une condition meilleure ; si l’on n’en défriche pas davantage, c’est que les capitaux font défaut, ou que les terres elles-mêmes manquent sur le marché. La plupart sont encore communales et n’entrent que peu à peu dans le domaine de la propriété privée ; une bonne loi sur les communaux précipiterait le mouvement : la formation de quelques grandes compagnies achèverait de le rendre général. Seules, ces compagnies peuvent faire avec ensemble et promptitude les grands travaux étrangers à la culture proprement dite, nécessaires pour amener la population sur des territoires aujourd’hui déserts, comme routes, ponts, canaux d’irrigation, de desséchement