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Comme les vagues de l’océan, les capitaux sont soumis par leurs lois à des intermittences ; ils se portent tour à tour d’une plage à l’autre, suivant le niveau des profits. La cherté même des denrées agricoles, qui tient en partie à leur désertion, doit contribuer à les ramener.

On confond toujours, quand il s’agit d’agriculture, l’argent placé en achat de terre et l’argent consacré à des dépenses d’amélioration et d’exploitation. Le capital d’achat ne rapporte en effet que 2 ou 3 pour 100, tandis que le capital placé en créances peut rapporter le double, mais cette différence elle-même a ses causes et ses compensations. La plus-value du fonds ajoute tous les ans 1 pour 100 environ au revenu apparent, et l’économie de séjour ajoute au moins autant pour ceux qui résident, sans compter la satisfaction morale, la sécurité, la considération extérieure, qui s’attachent à la possession du sol. Toute fortune qui ne s’assied pas sur des immeubles pour une portion notable finit presque toujours par disparaître rapidement. Il n’en faut pas trop, c’est la le danger, mais il en faut avoir assez ; de tout temps, après les grandes marées mobilières, l’argent est revenu tôt ou tard vers le sol. Quant au capital d’amélioration et d’exploitation, il ne faut pas se lasser de le redire, il ne doit pas rapporter et ne rapporte pas moins de 10 pour 100 ; autrement tout bail à ferme serait impossible. Nos fermiers possèdent en général un faible capital : s’il ne leur donnait pas de quoi vivre, ils n’entreprendraient pas de cultiver. Ce qui prouve que l’industrie agricole a comme une autre sa rémunération, c’est qu’en France comme en Angleterre les points où les entrepreneurs de culture se rencontrent en plus grand nombre et engagent les plus grands capitaux sont précisément ceux où il y a le plus de spéculations industrielles, et où conséquemment il leur serait facile de préférer d’autres placemens, s’ils étaient plus lucratifs.

Prenons pour exemple le bétail, qui forme la partie la plus essentielle du capital d’exploitation : un bénéfice de 10 pour cent sur le bétail est un véritable minimum. Une vache rapporte habituellement de produit brut la moitié de sa valeur ; tous frais déduits, elle doit donner au moins 20 pour cent. Un troupeau de brebis se double tous les ans. Il est très rare que l’achat de bestiaux maigres pour l’engraissement ne rapporte pas 5 pour 100 nets en trois mois. Une porcherie bien conduite donne davantage. Les autres branches du capital d’exploitation, pour n’être pas tout à fait aussi fructueuses, ne sont pas improductives. Si une machine de 500 francs n’épargne pas pour 50 francs au moins de main-d’œuvre, elle ne vaut rien. Si 500 francs de chaux, de guano, de noir animal, enfouis dans le sol, ne rentrent pas en deux ou trois récoltes, laissant comme bénéfice net toute la fertilité ultérieure, ils sont employés sans discernement.