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à vue. Il a fallu un demi-siècle à la Banque de France pour devenir ce qu’elle est ; il en faudra au moins autant au Crédit foncier pour porter tous ses fruits. Ce qu’on pourra tenter pour brusquer son succès, pour l’introduire violemment dans les habitudes, tournera contre lui. L’avenir ne lui reviendra qu’autant que les conditions générales du marché s’amélioreront et que ses obligations remonteront au pair.

On parle beaucoup d’autres projets pour faciliter aux agriculteurs l’accès au crédit personnel. J’ai moi-même indiqué les moyens qui me paraissaient les meilleurs. Après la suppression de l’Institut agronomique, le ministère de l’agriculture et du commerce crut devoir donner aux professeurs qui venaient de perdre leurs chaires, à titre d’indemnité temporaire, des missions spéciales en rapport avec la nature de leur enseignement. J’ai reçu pour mon compte l’invitation de me rendre en Angleterre et en Allemagne pour y étudier ce qu’on appelle le crédit agricole. J’ai consigné les résultats de ce voyage dans un rapport déposé depuis plus de deux ans. Il ne me paraît pas impossible d’introduire ou plutôt de répandre en France quelque chose d’assez analogue aux banques d’Ecosse, mais il faudrait procéder avec une extrême prudence. Les projets de banque territoriale, repoussés même par l’assemblée constituante de 1848, courent encore le monde. D’autres proposent des changemens à notre législation. Il y a beaucoup de vrai dans quelques-unes de ces idées, mais ce qu’il serait surtout bon de changer, ce sont les habitudes. Rien n’empêche au fond que les agriculteurs solvables jouissent du même crédit que les autres industriels pour leurs opérations à court terme, à la seule condition de prendre tous les usages de l’industrie et de payer exactement à l’échéance comme des commerçans.

Cette transformation de l’agriculture en industrie viendra peu à peu, à mesure que les débouchés se perfectionneront. Il est utile d’y aider, non de l’imposer. L’anticipation et l’excès du crédit ont de graves inconvéniens. On ne peut sans danger développer outre mesure le goût des chances aléatoires. L’homme n’est pas uniquement fait pour être un animal emprunteur. En agriculture surtout, ou il est si facile de céder à des illusions, où l’amour de la propriété devient si vite une passion, il vaut mieux attendre le crédit que le devancer. Emprunter pour acheter de la terre est évidemment une folie, et qui peut se flatter de ne pas s’y laisser aller ? Avant d’aspirer au capital qu’on n’a pas, il faut commencer par se bien servir de celui qu’on a s’il est bon d’avoir recours au crédit quand on en a besoin, il est encore meilleur de s’en passer. Avez-vous, avec le goût et l’expérience de l’agriculture, un faible capital ? Mieux vaut, dans le plus grand nombre des cas, vendre la moitié de votre propriété