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dépenses improductives, et de faire en sorte que les nouveaux impôts ne portent pas sur la propriété foncière. Tout autre secours est illusoire. Il y a un mot qui est aujourd’hui fort en faveur, mais dont on s’exagère la puissance : le crédit. Le crédit, on l’a dit bien des fois, parce que les esprits ardens l’oublient toujours, ne crée pas les capitaux ; il ne fait que rendre la transmission plus facile de ceux qui les possèdent à ceux qui ne les possèdent pas. Quand une fois tous les capitaux sont utilisés, vous auriez beau multiplier les institutions de crédit, vous ne feriez qu’augmenter la concurrence sur le marché, tout hausserait indéfiniment, et au bout du compte, la somme de l’effet utile serait la même. Cette observation s’applique surtout à l’intervention de l’état dans le crédit. L’état est sujet à se tromper comme tout le monde, sa puissance même rend ses erreurs infiniment plus redoutables. En matière de crédit comme en matière d’impôt, il peut déplacer, lion produire les capitaux ; il doit bien prendre garde à ne pas les déplacer mal à propos.

Un projet de loi actuellement soumis au corps législatif propose d’affecter cent millions à des prêts spéciaux pour le drainage, sur le modèle de ceux que fait aux propriétaires le gouvernement anglais. J’ai contribué de mon mieux à faire connaître en France le drainage ; je ne puis dire cependant que le projet de loi me paraisse irréprochable. Le principe des prêts directs par le gouvernement aux particuliers pour une destination spéciale n’est pas bon en soi ; il peut ouvrir la porte à une foule d’abus et de gaspillages. Si l’état prenait sur ses revenus ordinaires la somme qu’il s’agit de prêter, il n’y aurait que demi-mal ; mais cette somme, il l’empruntera, et qui sait si elle n’aurait pas été plus profitable entre les mains des prêteurs que dans celles des emprunteurs ? Le drainaige n’est pas la seule amélioration agricole qui puisse donner de grands profits, ce n’est même pas la principale chez nous, comme en Angleterre ; nous n’avons tout à fait ici ni le même sol ni le même climat, nous ne sommes pas surtout parvenus au même point de richesse rurale, et pour que le drainage ait des effets véritablement rémunérateurs, cette dernière condition est nécessaire.

En évaluant à cinquante milliards, ou, en d’autres termes, à la quantité de journées de travail qu’il est possible de payer avec cette somme, ce qu’il faudrait dépenser pour doubler notre produit agricole annuel, le drainage y figure pour un vingtième. L’état fera-t-il pour les marnages, les chaulages, les labours profonds, les cultures fourragères, les racines, les irrigations, les engrais commerciaux, les industries annexes à la culture, la stabulation du gros bétail, les chemins ruraux, et une foule d’autres pratiques non moins utiles, ce qu’il fait maintenant pour le drainage ? Cette entreprise le mènerait bien loin. Ce serait pourtant logique, car, sur le plus grand nombre