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loin de cet excès ; nous pouvons sans danger quadrupler notre réseau actuel et le porter à 20,000 kilomètres ; il n’en faut pas moins pour desservir également toutes les parties du territoire. Tout a paru conspirer pour retarder chez nous l’exécution de ce grand travail. On sait combien les embarras suscités par l’opposition, qui voulait l’exécution par les compagnies quand on lui proposait l’exécution par le gouvernement, et qui revenait au gouvernement quand on lui proposait les compagnies, ont fait perdre de temps sous la dernière monarchie, avant de pouvoir mettre la main à l’œuvre ; puis est venue la révolution de 1848, puis la guerre. Il est merveilleux qu’au milieu de tant de traverses, on ait pu faire ce qu’on a fait. Maintenant que nous rentrons peu à peu dans l’état normal, il faut espérer qu’on ira plus vite. C’est le désir évident de la nation, qui recherche avec empressement ces entreprises et qui en demande de nouvelles de toutes parts. En supposant que ses épargnes annuelles s’élèvent à 1,200 millions, et je ne crois pas qu’en effet ce chiffre s’éloigne beau coup de la vérité, elle peut en consacrer le quart environ aux chemins de fer, sans nuire à ses autres industries.

Un autre quart peut servir avec profit aux nouvelles créations industrielles et commerciales ; il suffit d’en retenir la moitié, ou 600 millions, pour former de nouveaux capitaux agricoles. Je ne doute pas qu’ils ne s’y portent par leur propre poids, pourvu qu’on n’y mette pas obstacle. La moitié environ des épargnes annuelles, ayant une origine agricole, tendent spontanément à s’incorporer au sol dont elles émanent. Le mot capitaux se présente ici dans son véritable sens. On ne donne ce nom que par extension au droit de commander le travail, et pour en venir à la formation des véritables capitaux. Quand vous abordez une terre nue, le défrichement que vous opérez et qui survit à la récolte de l’année, les engrais et amendemens que vous y mêlez, les plantations, les assolemens, les semences, les clôtures, les bâtimens que vous construisez, les bestiaux nouveaux que vous pouvez nourrir, les instrumens aratoires dont vous vous servez, sont des capitaux. Quand on dit qu’il est désirable d’appeler plus de capitaux vers l’agriculture, on veut dire que ceux qui ont les moyens de commander le travail, en vertu d’une propriété antérieure, feront bien de diriger le plus de travail possible vers les défrichemens, les assolemens, les amendemens, les constructions rurales, l’élève et l’entretien du bétail, en un mot vers tout ce qui aide et multiplie la production agricole.

Cette création constante des capitaux est la tendance naturelle de la société livrée à elle-même. En même temps qu’on produit la somme annuelle d’objets consommables destinés à satisfaire les besoins de la population, chaque producteur est entraîné, par un calcul fort simple, à consacrer une partie de son travail à améliorer