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les jours pourront alors se porter comme par le passé sur l’agriculture et l’industrie. Quant au partage entre ces deux grands emplois, le choix appartient aux capitaux eux-mêmes. Beaucoup continueront sans doute à choisir les chemins de fer ; on n’y peut rien trouver à redire, même au point de vue agricole. Les chemins de fer ne sont pas pour l’agriculture un progrès direct, mais une cause infaillible de progrès ultérieurs. Quand on examine l’état actuel du territoire, on voit que les vallées sont en général assez bien cultivées, et que les plateaux intermédiaires laissent beaucoup à désirer. Non-seulement le sol en est moins fertile, mais les communications y sont plus difficiles, les produits ont plus de peine à en sortir, les marchandises étrangères plus de peine à y pénétrer. Une autre différence fondamentale se fait remarquer entre le nord et le midi ; la moitié méridionale de la France est deux fois plus, riche, deux fois plus peuplée que la moitié septentrionale. Les chemins de fer rapprochent et confondent le nord et le midi, les plateaux et les vallées ; ils facilitent l’échange des produits, toujours si favorable à la richesse réciproque, et ouvrent aux régions les plus pauvres l’accès, des grands débouchés et des grands capitaux.

Une large bande de terres siliceuses, qui commence au cap Finistère pour finir vers les frontières de la Savoie, traverse la France par le milieu, en formant le cinquième environ du territoire. Cette région, que dans la carte agronomique de Châteauvieux on qualifie de région des landes et des ajoncs, manque surtout de l’élément calcaire. Partout où il est possible d’employer largement la chaux comme amendement, le sol se transforme à vue d’œil, les prairies artificielles s’étendent, les bestiaux s’améliorent et se multiplient, le froment se substitue au seigle. Avec les moyens ordinaires de locomotion et de combustion, la chaux revient trop cher sur la plupart des points. Les chemins de fer, qui transportent à peu de frais soit le combustible, soit la chaux même, peuvent seuls la mettre à la portée de tous. Cette même région, située loin des grands centres d’industrie et de population, manquait de débouchés. Les chemins de fer lui ouvrent des communications avec Paris et le nord, Lyon et l’est, Bordeaux et l’ouest, Marseille et le midi ; elle pourra désormais envoyer partout ses bestiaux, ses laines, ses produits forestiers, et recevoir en échange des vins, des blés, des produits manufacturés.

Cette heureuse révolution n’est pas la seule. Le progrès agricole dépend avant tout de la prospérité générale. Pour quiconque a suivi de près les événemens, il est évident que les chemins de fer ont fait seuls contrepoids, depuis 1848, aux formidables causes d’appauvrissement qui ont affligé notre pays. L’Angleterre a dix fois plus de chemins de fer en exploitation que nous, proportionnellement à sa surface ; elle en a trop, dit-on : c’est possible, mais nous sommes