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Centre de l’action catholique, centre de l’action protestante orthodoxe, Utrecht est encore le siège de l’évêque janséniste. Les disciples de Jansénius trouvèrent autrefois en Hollande la protection que cette terre secourable accordait à tous les dissidens. Quelques-uns d’entre eux s’enrichirent dans le commerce. Leur église s’est perpétuée sans bruit. Les jansénistes habitent en quelque sorte dans la ville d’Utrecht une ville à part. De petites maisons disposées en forme de cloître, bien propres, bien modestes, bien recueillies, ombragées d’arbres à fruit, se serrent les unes contre les autres et sont défendues par une entrée commune qu’on ferme à une certaine heure. Rien ne peut donner une idée du calme, du silence, du parfum spirituel qui règnent dans cette cité religieuse. C’est Port-Royal moins Nicole. Au centre de ces habitations, reliées entre elles par des cours intérieures, s’élève l’église avec cette simple inscription : Deo. L’église des jansénistes, hors les heures d’office, est aussi fermée que leur paradis. Il faut s’en faire ouvrir la porte par un saint Pierre qui tient les clés, et qui est tout simplement la servante du curé. Cette église est jolie, quoique d’un goût maniéré. L’évêque, qui officie dans le saint lieu les jours de fête, est nommé par le chapitre. Le jour de son avènement, il signifié son élection au pape, lequel s’empresse d’y répondre par une bulle d’excommunication. Cette bulle est lue publiquement et solennellement du haut de la chaire de l’église, et puis tout rentre dans le repos accoutumé. L’impartialité nous oblige à dire que ce groupe de fidèles, quoique désigné, et à bon droit, sous le nom de jansénistes, repousse une telle qualification, L’.évêque s’intitule lui-même évêque de l’église catholique hollandaise. Il figure avec son clergé dans quelques cérémonies publiques à côté des ministres protestans. Cette communion religieuse n’est d’ailleurs intéressante qu’au point de vue historique. L’évêque est vieux ; la doctrine vieillit, les murs vieillissent, et l’église, qui s’affaiblit chaque jour, reste la comme un débris suranné, mais honorable. Il en est de certaines opinions religieuses comme de l’odeur des cierges et de l’encens qui se répand encore après que les lumières sont éteintes.

Il ne faut point dire adieu à Utrecht sans visiter le joli village des frères moraves. Cette société religieuse descend par une filiation morale des anciens hussites qui agitèrent si fort la Bohême après la mort de leur chef. Ce sont les débris d’une secte, miserabiles quesquiliœ, comme les appelait dédaigneusement Bossuet. Persécutés, ils erraient dans la Bohême et dans la Moravie, quand, au commencement du XVIIIe siècle, un noble Allemand, le comte Zinzendorf, leur céda une partie de ses bâtimens et de ses terres, où ils s’établirent. Quelques-uns d’entre eux fondèrent alors une colonie à Zeist, près d’Utrecht. C’était un lieu sauvage, une forêt dans laquelle Guillaume