Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’influence de Bilderdijk ne s’est point arrêtée à M. Groen ni à M. da Costa ; elle a malheureusement enveloppé des esprits jeunes et charmans qui, par la nature de certains débuts littéraires, semblaient le plus résister à l’influence des idées mystiques. De ce nombre est M. Beets, pasteur à Utrecht. M. Beets avait commencé par des traductions de Byron et par des poésies originales dans lesquelles un fond d’indépendance et d’observation délicate s’alliait peut-être à quelque scepticisme. Une direction par trop orthodoxe menace aujourd’hui d’assombrir et de dénaturer les aimables facultés d’un esprit qui n’était point fait pour les controverses religieuses. Le vieux parti protestant a surtout pour organes dans la Néerlande les poètes et les femmes. Des missionnaires en jupons, aux cheveux longs et bouclés, s’enflamment pour des idées obscures et métaphysiques dont on les accuse d’entrevoir vaguement la signification. L’orthodoxie est devenue, grâce à cette intervention féminine, une affaire de mode. Il n’est guère de salons de la Hollande où les controverses de la chaire ne tiennent la place qu’occupaient en France, sous le régime représentatif, les discussions politiques.

L’université d’Utrecht est placée sous cette influence orthodoxe. Le corps enseignant se rattache étroitement aux anciennes traditions de l’église officielle. Cependant le loup s’est glissé dans la bergerie, si bien gardée qu’en soit la porte. Un des professeurs, M. Opzoomer, se prononce pour la philosophie en niant toute action surnaturelle. Fondée en 1636, l’académie d’Utrecht fut autrefois célèbre ; elle occupe maintenant le cloître de l’ancienne cathédrale. La salle dans laquelle les professeurs tiennent conseil conserve les portraits des anciens professeurs, qui semblent assister aux délibérations actuelles du corps enseignant. Parmi ces portraits, j’ai remarqué surtout celui de Voetius, le farouche théologien qui rendit la vie amère à Descartes. L’université d’Utrecht a, comme celle de Leyde, une grande bibliothèque, un cabinet d’anatomie et d’histoire naturelle, un jardin botanique, un observatoire. Il existe sur la promenade qui a remplacé les anciens remparts un observatoire de météorologie, science encore au berceau, mais qui peut jeter de vives lumières sur la constitution physique du globe et fournir d’utiles renseignemens à l’agriculture. Si j’en crois mes yeux et le témoignage des graves habitans d’Utrecht, la conduite des étudians de cette ville ne serait point aussi orthodoxe que la doctrine de l’université. La voix publique accuse surtout les élèves en théologie de préluder aux rigides fonctions de leur ministère par une vie joyeuse. Les sociétés, les cubicula locata, les rues elles-mêmes redisent pendant la nuit cette chanson de la jeunesse qu’on ne chante qu’une fois, et qui se mêle au bruit des verres, aux éclats de rire, au tumulte des voix… Multiloquœ voces, sed non omnes masculœ.