Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/786

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la semaine qui suivrait les fêtes de Pâques. Je devais me rendre le premier à San-Antonio pour confesser et faire communier les Allemands et les Alsaciens de la ville et des environs ; l’abbé Dubuis me rejoindrait, et je vendrais quelques effets qui me restaient pour me procurer quelques ressources.

Mes préparatifs furent bientôt terminés, et je dis adieu à cette colonie où j’avais supporté tant de peines, où j’avais quelquefois versé des larmes secrètes, où j’avais aussi éprouvé de grandes consolations et de grandes joies à la vue du bien qui se faisait par nos mains. Ce bien n’était pas seulement religieux et moral, il était même matériel. Nous avions décidé Charles à établir un vaste magasin qui contenait toutes sortes de marchandises et d’ustensiles à l’usage des colons. Auparavant ils devaient aller tout chercher à San-Antonio, où ils payaient chaque chose beaucoup plus cher. La construction de l’église prouva aux colons qu’ils pouvaient à peu de frais remplacer leurs misérables cabanes par des maisons bonnes et solides, et cet exemple les convainquit si bien, que la valeur des terrains augmenta du triple, ce qui les enrichit presque tous, car presque tous possédaient des étendues de terrain assez considérables. Nos connaissances théoriques et nos conseils avaient été aussi très utiles à l’agriculture ; le maïs était mieux cultivé, chaque pied portait deux ou trois épis ; chaque épi portait jusqu’à 1,400 grains ; c’était en moyenne deux ou trois mille pour un ; entre les sillons, on récoltait des melons et des pastèques qui se vendaient à San-Antonio environ 50 centimes la pièce. On commençait à semer du froment, qui venait bien, et l’on plantait une grande variété de légumes aussi utiles que productifs. En revanche, les essais de plantation de la vigne n’avaient pas réussi, les grandes sécheresses la faisaient périr ; mais des greffes de vigne européenne portées sur des ceps sauvages avaient donné d’heureux effets. La confiance et la joie animaient les habitans, qui voyaient leur bien-être s’accroître, la colonie prospérer et grandir.

En me séparant de ma pauvre cabane, ouverte à tous les vents, qui laissait pénétrer la pluie, pousser les herbes, fourmiller les in sectes, je ne pus retenir un soupir attendri. En regardant une dernière fois le hamac qui pendait sous la galerie, le hamac où je m’étais si souvent endormi sous un ciel étoile, je pensai aux longues rêveries qui me rendaient si chère l’heure du silence, du repos et de l’obscurité, à la brise chargée des parfums forestiers qui venait rafraîchir mon front brûlant, à la voix plaintive de l’oiseau de paradis ou de la veuve, comme l’appellent quelques habitans du pays, dont le cri monotone et mélancolique perçait les longs murmures de la rivière et du feuillage. En disant adieu à la tombe solitaire de l’abbé Chazelle, en m’agenouillant encore une fois sur les résédas