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repos. « Quel repos ! Au bout d’une demi-heure, j’étais dans un bain de glace ; mes pieds brûlaient, mais mes dents claquaient ; je grelottais, je devins raide à ne pouvoir faire un mouvement. Cependant mon compagnon ronflait comme dans son lit. Je n’avais ni le courage ni la force d’aller le réveiller, et sur ma couche de pierre et de boue je gisais sans savoir si jamais je me relèverais. Avant la pointe du jour, l’Alsacien reposé vint pour me secouer, entendit ma voix mourante, me prit dans ses bras, me porta tout près du feu, qu’il ranima en y jetant une grande quantité de branches et de broussailles. La vie revint peu à peu ; je retrouvai le mouvement, je n’avais rien de gelé ; nous n’avions plus qu’à repartir. Le soleil était venu chasser le brouillard, bientôt il réchauffa et illumina la route, qui a quelque chose de particulièrement sauvage et tropical. « Les cactus et les agaves sont abondans ; leur végétation est puissante comme sous l’équateur. Les rivières sont à sec ou sous terre. En passant à Vandenberg, on rencontre dans une petite vallée une multitude fabuleuse de boules rondes en fer natif, légèrement recouvertes d’une couche calcaire ; mais faute de bois cette mine à fleur de terre demeure inexploitée. J’étais fatigué et ahuri par le changement continuel de tableaux et de pensées et par les cahots quand nous arrivâmes à la colonie de Dahnis. Mon compagnon me fit coucher chez lui. Sa cabane était, comme dans toutes les parties médiocrement peuplées du Mexique, un carré de pieux unis par des poutres verticales ou par des courroies de cuir de bœuf, chargé d’un toit de chaume. Il m’offrit un verre de whiskey, mais l’odeur seule me donna des vertiges.

Quelque temps après, je retournai, à Dahnis, où l’on avait installé un camp, et je poussai, même jusqu’à un autre camp situé sur la Leona, à quarante-sept milles plus loin, c’est-à-dire à quatre-vingts milles de Castroville. On se rappelle que nos fonctions pastorales s’étendaient sur les soldats irlandais qui servaient dans des régimens américains. Un soldat du camp de Dahnis vint me chercher un matin avec deux bons chevaux pour quelques-uns de ses camarades qui avaient besoin de moi. C’était un brave Irlandais, qui n’avait pour défaut qu’une soif inextinguible et un amour exagéré du whiskey. Il regrettait bien son beau pays, et me parlait, la rage au cœur, des mauvais traitemens qu’infligeaient aux soldats catholiques les officiers protestans. Dans ces camps isolés, les soldats sont à la merci des chefs, et ceux-ci ont une haine profonde et innée contre les Irlandais et contre la religion catholique. Les châtimens les plus barbares punissent des fautes qui en France seraient expiées par quelques heures de salle de police. Pour un cas d’ivrognerie ou de malpropreté, j’ai vu des soldats suspendus par les poignets aux branches